Rencontre avec Éléonore Boudault

Lauréate du Prix de l’adaptation en sous-titrage d’un film non anglophone

Éléonore Boudault et ses colauréats de l'adaptation en sous-titrage, Lucinda Treutenaere et Emmanuel Menouna Ekani

Vous avez reçu un Prix ATAA pour l’adaptation en sous-titrage d’un film argentin, alors que vous n’avez que trois ans d’expérience dans l’adaptation. Cela doit être très valorisant ?

Oui, j’étais tellement contente ! D’autant que j'ai adoré travailler sur Le Braquage du siècle. Ce film est non seulement drôle, mais aussi admirablement réalisé et écrit. Sans vouloir minimiser mon travail, on peut dire que des dialogues amusants, rythmés et fluides facilitent grandement le processus de traduction. Lorsque tout coule naturellement, on peut se laisser porter par le film, ce qui rend le travail plus agréable et plus efficace. Or, ce n’est pas toujours le cas… Par exemple, l’anglais peut poser des défis que je ne retrouve pas en espagnol ou en portugais. La plasticité de l’anglais nous confronte parfois à des inventions de verbes – créés à partir de substantifs –, à des raccourcis ou à des pirouettes linguistiques difficiles à traduire en français car notre langue se veut précise et nette. Dans ces cas, nous devons clarifier les choses et aller droit au but.

Crédit photo : Rémi Poulverel

Bien que jeune adaptatrice indépendante, vous travaillez à mi-temps pour Titrafilm. Pourquoi ce double statut ?

J’ai été recrutée par Titrafilm à l’issue d’un stage de fin d’études. Et depuis quinze ans, j’occupe des fonctions de technicienne – simulation, repérage, calage des sous-titres, etc. En salariat, nous ne faisons pas du tout d'adaptation, hormis pour quelques rares films-annonces. Bien que passionnant, le travail technique peut s’avérer frustrant si on s’y limite. Et à force d’observer le travail d'adaptation de mes confrères et consœurs, l'envie de me lancer est devenue trop forte. Aussi, depuis 3 ans, je trouve mon équilibre en travaillant à mi-temps en tant que salariée et le reste de mon activité en indépendante. Même si ce n'est pas toujours facile : les conditions de travail se durcissent, les délais raccourcissent, et avec trois jours de présence par semaine à Titrafilm, il devient parfois impossible d’accepter certains projets freelance faute de temps. Cependant, cela reste une sécurité financière et une chance d'occuper un des rares emplois techniques salariés dans le sous-titrage.

Quelle était votre motivation profonde à devenir adaptatrice ?

Ce qui me passionne, c'est de parvenir à retranscrire les émotions et les intentions des personnages. C’est tout l’art de l’adaptation : ne pas traduire simplement des mots... Quand nous travaillons sur un film ou une série, nous disposons de l'image, du jeu des acteurs, et de nombreux autres éléments que nous devons traduire en mots. C'est une tâche incroyablement gratifiante, et je pense que cela passionne tous ceux et celles qui travaillent dans ce domaine.

Avez-vous toujours voulu être adaptatrice audiovisuelle ?

Quand j’étais étudiante, je me suis longtemps interrogée sur mon avenir professionnel et ai exploré différents horizons avant de trouver ma voie. Initialement, j’ai étudié l’Histoire de l’art. Ma licence en poche, je suis partie découvrir Berlin le temps d’un été. Finalement, j’y suis restée deux ans. De retour en France, j’ai choisi la sociologie et l'Institut des Hautes Études de l'Amérique latine pour mon master 2 en Sciences sociales. Je ne savais toujours pas quoi faire de ma vie… La révélation est venue d’une rencontre ! J’ai connu par hasard une technicienne qui travaillait pour TVS – l’ancienne branche télévisuelle de Titrafilm : en l’écoutant parler de son métier, j’ai découvert le monde fascinant de la traduction audiovisuelle. Je n’ai plus hésité et me suis inscrite en master Traduction audiovisuelle à Nanterre.

Ceux et celles qui vous suivent sur les réseaux sociaux connaissent votre militantisme politique. Selon vous, quels sont les ingrédients d’une action militante efficace ?

Je suis féministe radicale, mais je ne suis pas à proprement parler militante, sachant que je ne suis active dans aucune association. Néanmoins – quel que soit le domaine – le militantisme réside, selon moi, dans le recours au collectif afin ne pas se sentir seul et de lutter tous ensemble pour avoir du poids. Et l’ATAA l’a bien compris. L’essentiel est d’unir nos forces, de ne pas rester isolés et de se parler. C’est vraiment important de sentir que nous sommes en nombre et de savoir que nous demeurerons tous solidaires si un client tente de nous imposer un tarif difficilement acceptable. Même si l’ATAA ne représente pas l’ensemble des traducteurs de l’audiovisuel de France, nous rassemblons plus de 600 membres. Grâce à l’ATAA, nous nous rendons compte de notre force.

Selon vous, quel est le meilleur outil d’échange mis en place par l’ATAA ?

Très probablement le forum réservé aux adhérents. Nous pouvons y discuter de milliers de sujets et communiquer de manière anonyme nos tarifs. Cela permet de contourner la crainte de certains et certaines de dévoiler publiquement leurs rémunérations, soit parce qu’elles s’avèrent basses, soit parce qu’elles sont élevées. C’est essentiel de mettre tout ce savoir dans le collectif, car seuls derrière nos écrans – avec nos clients au téléphone – il est plus difficile de savoir ce qui est acceptable ou pas. Sans échanges avec les autres membres de la profession, nous risquons d’accepter des tarifs trop bas et ainsi de casser les prix du marché. Personnellement, je ne consulte plus très souvent le forum, mais si j’avais un doute sur un tarif ou sur une proposition, j’irais sur la plateforme pour vérifier si d’autres confrères et consœurs en parlent.

Avez-vous toujours adhéré à l’ATAA ?

En tant que technicienne, je ne me sentais pas légitime. Ponctuellement, je faisais certes quelques adaptations, mais en travaillant à temps plein à Titrafilm, je ne me considérais pas comme adaptatrice. Même si l’ATAA met tout le monde à l’aise : notre association ne tient pas le discours réactionnaire d’une profession défendant uniquement son pré carré. Et tant mieux, car on ressent parfois un fossé générationnel entre les traducteurs chevronnés qui bénéficient d’exceptionnelles conditions de travail, et ceux qui démarrent leur carrière et doivent composer avec la demande du marché. Il existe un décalage entre les attentes et la réalité économique du secteur, et les tarifs préconisés ne reflètent parfois pas la réalité du marché. Même si je reconnais que les auteurs les plus exigeants tirent toute la profession vers le haut en nous incitant à négocier les tarifs, et en nous habituant à ne pas tout accepter. Personnellement, je suis consciente de ma chance d’avoir travaillé longtemps dans le cinéma pour Titrafilm : cela m'a permis de connaître les clients, et de travailler avec des majors. Tout le monde n'a pas eu cette opportunité. Il y a des traducteurs qui ne font pas de simulation, qui travaillent de manière plus isolée, et qui n'ont pas la chance de rencontrer directement les clients…

Pour poursuivre son action, l’ATAA a besoin de bénévoles. Si cela vous est proposé, accepteriez-vous de devenir jurée pour un prochain Prix d’adaptation ?

Ma première réaction serait de dire « Oui, avec grand plaisir ! Comment refuser ? » Seulement, en tant que salariée chez Titrafilm, ma présence dans le jury disqualifierait automatiquement tous les films passant par notre labo, et je ne voudrais pas priver de nombreux adaptateurs de la possibilité d'être nommés. Pourtant, j’aurais été enthousiaste : j'ai entendu dire que c'était un travail intense et exigeant, mais tellement intéressant. Et à titre personnel, je me serais sentie parfaitement armée pour cette mission, en raison de mon expérience dans la simulation et la technique depuis plus de 15 ans. J’aurais été capable de juger de la qualité d’un sous-titrage sans être influencée par d'autres facteurs. Je pense en effet disposer d’une vision objective, si tant est qu’on puisse parler d’objectivité.

Crédit photo : Rémi Poulverel
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