Rencontre avec Éléonore Boudault

Lauréate du Prix de l’adaptation en sous-titrage d’un film non anglophone

Éléonore Boudault et ses colauréats de l'adaptation en sous-titrage, Lucinda Treutenaere et Emmanuel Menouna Ekani

Vous avez reçu un Prix ATAA pour l’adaptation en sous-titrage d’un film argentin, alors que vous n’avez que trois ans d’expérience dans l’adaptation. Cela doit être très valorisant ?

Oui, j’étais tellement contente ! D’autant que j'ai adoré travailler sur Le Braquage du siècle. Ce film est non seulement drôle, mais aussi admirablement réalisé et écrit. Sans vouloir minimiser mon travail, on peut dire que des dialogues amusants, rythmés et fluides facilitent grandement le processus de traduction. Lorsque tout coule naturellement, on peut se laisser porter par le film, ce qui rend le travail plus agréable et plus efficace. Or, ce n’est pas toujours le cas… Par exemple, l’anglais peut poser des défis que je ne retrouve pas en espagnol ou en portugais. La plasticité de l’anglais nous confronte parfois à des inventions de verbes – créés à partir de substantifs –, à des raccourcis ou à des pirouettes linguistiques difficiles à traduire en français car notre langue se veut précise et nette. Dans ces cas, nous devons clarifier les choses et aller droit au but.

Crédit photo : Rémi Poulverel

Bien que jeune adaptatrice indépendante, vous travaillez à mi-temps pour Titrafilm. Pourquoi ce double statut ?

J’ai été recrutée par Titrafilm à l’issue d’un stage de fin d’études. Et depuis quinze ans, j’occupe des fonctions de technicienne – simulation, repérage, calage des sous-titres, etc. En salariat, nous ne faisons pas du tout d'adaptation, hormis pour quelques rares films-annonces. Bien que passionnant, le travail technique peut s’avérer frustrant si on s’y limite. Et à force d’observer le travail d'adaptation de mes confrères et consœurs, l'envie de me lancer est devenue trop forte. Aussi, depuis 3 ans, je trouve mon équilibre en travaillant à mi-temps en tant que salariée et le reste de mon activité en indépendante. Même si ce n'est pas toujours facile : les conditions de travail se durcissent, les délais raccourcissent, et avec trois jours de présence par semaine à Titrafilm, il devient parfois impossible d’accepter certains projets freelance faute de temps. Cependant, cela reste une sécurité financière et une chance d'occuper un des rares emplois techniques salariés dans le sous-titrage.

Quelle était votre motivation profonde à devenir adaptatrice ?

Ce qui me passionne, c'est de parvenir à retranscrire les émotions et les intentions des personnages. C’est tout l’art de l’adaptation : ne pas traduire simplement des mots... Quand nous travaillons sur un film ou une série, nous disposons de l'image, du jeu des acteurs, et de nombreux autres éléments que nous devons traduire en mots. C'est une tâche incroyablement gratifiante, et je pense que cela passionne tous ceux et celles qui travaillent dans ce domaine.

Avez-vous toujours voulu être adaptatrice audiovisuelle ?

Quand j’étais étudiante, je me suis longtemps interrogée sur mon avenir professionnel et ai exploré différents horizons avant de trouver ma voie. Initialement, j’ai étudié l’Histoire de l’art. Ma licence en poche, je suis partie découvrir Berlin le temps d’un été. Finalement, j’y suis restée deux ans. De retour en France, j’ai choisi la sociologie et l'Institut des Hautes Études de l'Amérique latine pour mon master 2 en Sciences sociales. Je ne savais toujours pas quoi faire de ma vie… La révélation est venue d’une rencontre ! J’ai connu par hasard une technicienne qui travaillait pour TVS – l’ancienne branche télévisuelle de Titrafilm : en l’écoutant parler de son métier, j’ai découvert le monde fascinant de la traduction audiovisuelle. Je n’ai plus hésité et me suis inscrite en master Traduction audiovisuelle à Nanterre.

Ceux et celles qui vous suivent sur les réseaux sociaux connaissent votre militantisme politique. Selon vous, quels sont les ingrédients d’une action militante efficace ?

Je suis féministe radicale, mais je ne suis pas à proprement parler militante, sachant que je ne suis active dans aucune association. Néanmoins – quel que soit le domaine – le militantisme réside, selon moi, dans le recours au collectif afin ne pas se sentir seul et de lutter tous ensemble pour avoir du poids. Et l’ATAA l’a bien compris. L’essentiel est d’unir nos forces, de ne pas rester isolés et de se parler. C’est vraiment important de sentir que nous sommes en nombre et de savoir que nous demeurerons tous solidaires si un client tente de nous imposer un tarif difficilement acceptable. Même si l’ATAA ne représente pas l’ensemble des traducteurs de l’audiovisuel de France, nous rassemblons plus de 600 membres. Grâce à l’ATAA, nous nous rendons compte de notre force.

Selon vous, quel est le meilleur outil d’échange mis en place par l’ATAA ?

Très probablement le forum réservé aux adhérents. Nous pouvons y discuter de milliers de sujets et communiquer de manière anonyme nos tarifs. Cela permet de contourner la crainte de certains et certaines de dévoiler publiquement leurs rémunérations, soit parce qu’elles s’avèrent basses, soit parce qu’elles sont élevées. C’est essentiel de mettre tout ce savoir dans le collectif, car seuls derrière nos écrans – avec nos clients au téléphone – il est plus difficile de savoir ce qui est acceptable ou pas. Sans échanges avec les autres membres de la profession, nous risquons d’accepter des tarifs trop bas et ainsi de casser les prix du marché. Personnellement, je ne consulte plus très souvent le forum, mais si j’avais un doute sur un tarif ou sur une proposition, j’irais sur la plateforme pour vérifier si d’autres confrères et consœurs en parlent.

Avez-vous toujours adhéré à l’ATAA ?

En tant que technicienne, je ne me sentais pas légitime. Ponctuellement, je faisais certes quelques adaptations, mais en travaillant à temps plein à Titrafilm, je ne me considérais pas comme adaptatrice. Même si l’ATAA met tout le monde à l’aise : notre association ne tient pas le discours réactionnaire d’une profession défendant uniquement son pré carré. Et tant mieux, car on ressent parfois un fossé générationnel entre les traducteurs chevronnés qui bénéficient d’exceptionnelles conditions de travail, et ceux qui démarrent leur carrière et doivent composer avec la demande du marché. Il existe un décalage entre les attentes et la réalité économique du secteur, et les tarifs préconisés ne reflètent parfois pas la réalité du marché. Même si je reconnais que les auteurs les plus exigeants tirent toute la profession vers le haut en nous incitant à négocier les tarifs, et en nous habituant à ne pas tout accepter. Personnellement, je suis consciente de ma chance d’avoir travaillé longtemps dans le cinéma pour Titrafilm : cela m'a permis de connaître les clients, et de travailler avec des majors. Tout le monde n'a pas eu cette opportunité. Il y a des traducteurs qui ne font pas de simulation, qui travaillent de manière plus isolée, et qui n'ont pas la chance de rencontrer directement les clients…

Pour poursuivre son action, l’ATAA a besoin de bénévoles. Si cela vous est proposé, accepteriez-vous de devenir jurée pour un prochain Prix d’adaptation ?

Ma première réaction serait de dire « Oui, avec grand plaisir ! Comment refuser ? » Seulement, en tant que salariée chez Titrafilm, ma présence dans le jury disqualifierait automatiquement tous les films passant par notre labo, et je ne voudrais pas priver de nombreux adaptateurs de la possibilité d'être nommés. Pourtant, j’aurais été enthousiaste : j'ai entendu dire que c'était un travail intense et exigeant, mais tellement intéressant. Et à titre personnel, je me serais sentie parfaitement armée pour cette mission, en raison de mon expérience dans la simulation et la technique depuis plus de 15 ans. J’aurais été capable de juger de la qualité d’un sous-titrage sans être influencée par d'autres facteurs. Je pense en effet disposer d’une vision objective, si tant est qu’on puisse parler d’objectivité.

Crédit photo : Rémi Poulverel

L’alternance, c’est pour bientôt !

« Pourquoi vous ne mélangez plus séries et cinéma ? » Cette question, légitime, les membres du comité d’organisation des Prix ATAA l’entendent régulièrement. Nous avons expliqué par le passé ce qui nous avait amenées, bien malgré nous, à cette décision. Mais il ne serait pas inutile de faire un point, d’autant que ça va encore changer l’an prochain !

Pour commencer, un petit rappel en quelques dates clés :

  • 2012 : création des Prix ATAA Cinéma Sous-titrage, remis en mars à la Fémis.
  • 2013 : deuxième édition pour le Sous-titrage, première pour le Doublage.
  • 2015 : première cérémonie à la Sacem.
  • 2016 : création des Prix Séries, en Sous-titrage et en Doublage, première remise lors des 10 ans de l’ATAA, à la Cité Universitaire.
  • 2017 : création des Prix Documentaires, remis à la Scam, et première remise commune à la Sacem des prix Cinéma et Séries.
  • 2019 : lors de la cérémonie en février, annonce d’une alternance pour les prochaines éditions…

C’est là que les choses se gâtent. Les comités avaient en effet décidé d’étaler les éditions suivantes des Prix fiction sur deux ans, en mélangeant toutefois chaque année séries et cinéma, et doublage et sous-titrage, et ce pour plusieurs raisons : raccourcir les cérémonies, soulager les jurés et les comités, avoir accès à un plus large éventail d’œuvres…

Mais la pandémie s’en est mêlée, les cinémas ont fermé, des tournages se sont arrêtés, et les mesures sanitaires nous ont obligées à annuler purement et simplement la cérémonie de 2020. Les équipes ont cependant continué à travailler dans l’intervalle, et nous avons pu remettre toutes les catégories fiction en avril 2021, lors d’une cérémonie en petit comité, filmée à la Sacem et diffusée sur nos réseaux.

La deuxième fermeture des cinémas, du 30 octobre 2020 au 19 mai 2021, a ensuite empêché les comités Cinéma d’organiser une édition normale, car la période de sélection des sorties en salles aurait été réduite à peau de chagrin. C’est pourquoi nous avons dû prendre la décision de séparer les deux catégories : les Prix Séries seraient remis en juin 2022 et les Prix Cinéma, en juin 2023, avec le grand retour de la catégorie animation en doublage.

Reprenons la chronologie là où elle s’était arrêtée :

  • 2020 : annulation de la cérémonie fiction à la Sacem, remise virtuelle du Prix Documentaires.
  • 2021 : remise virtuelle des Prix Cinéma et Séries.
  • 2022 : remise à la Sacem des Prix Séries, et à la Scam des Prix Documentaires.
  • 2023 : remise à la Sacem des Prix Cinéma le 2 juin, et au Forum des Images des Prix Documentaires le 13 novembre.

Cependant, l’idée d’alternance est restée dans la tête de tous. C’est notre objectif, même si cela suppose que, dans un premier temps, certaines catégories porteront sur un an de sélection et d’autres, sur deux ans. Voici donc ce que nous prévoyons pour l’avenir :

  • 2024 : remise des Prix Séries Sous-titrage et Doublage, et des Prix Cinéma Sous-titrage.
  • 2025 : remise des Prix Séries Sous-titrage et Cinéma Doublage.
  • 2026 : remise des Prix Séries Doublage et Cinéma Sous-titrage.

Et toujours les Prix Documentaires, bien sûr.

À partir de 2025 donc, si tout va bien, nous pourrons concrétiser l’alternance imaginée en 2019. Dans tous les cas, cela suppose des bonnes volontés, à la fois motivées et adaptables, avec toujours à cœur la mission de l’ATAA, et la raison d’être de ses prix, à savoir faire entendre la voix des traducteurs-adaptateurs de l’audiovisuel.

Si vous avez envie de participer, que ce soit pour un coup de main ponctuel ou pour encadrer un des Prix, faites profiter les comités de vos compétences. Séries, films, documentaires, doublage, sous-titrage : il y a forcément un Prix pour vous.

prix@ataa.fr prix-series@ataa.fr prix-documentaire@ataa.fr

Une partie du comité d'organisation

Crédit affiches : Philippe Savoir 2019, Antoine Pidoux 2022-2023

Crédits photos : Rémi Poulverel 2019, Brett Walsh 2022

Fighting for our Rates

A Subtitler Speaks from Experience

(To read the French version, click here)

Maï, in the ATAA forum, you recently told us about a job one of your clients offered to you. Can you tell us more about it?

A large postproduction studio in Paris contacted me in December 2022 about subtitling all the episodes of a very prestigious, very successful mini-series with a very comfortable turnaround time (4 months to do 7 45-minute episodes). They told me the rate would be 16 € per minute (for both adaptation and timespotting).

They also told me there would be a lot of extra work I’d have to do, like filling in tables, preparing a list of on-screen texts and a localisation list which is a list of recurring and/or important words specific to the series the client wants so they can check everything and ensure a uniform translation for both the dubbing scripts and the subtitles. Preparing these documents requires a lot of additional time and coordination with the dubbing and subtitling teams. For this extra work they ask us to do, which has increased significantly over the past few years, we don’t receive any compensation. But author groups are currently in discussions to get this work included in the list of paid tasks. The project manager seemed apologetic about the amount of extra work to be done and said that she could possibly pay me for the simulation [the step where the subtitles are proofread and checked with the programme] as a way to compensate me for the extra work.

At first, I was excited to work on this project and with the dubbing team. I knew one of the authors, and I liked the subject of the series. So, my desire to be part of the project led me initially to accept the job in principle. But after thinking about if for a few days, I did the math. When a programme has a lot of dialogue, which is often the case with a series, there’ll usually be about 18 subtitles per minute on average. At the rate they were offering, that worked out to 88 cents per subtitle. I’m lucky enough to have the opportunity to work regularly on projects that pay between 3.50 € and 4.30 € per subtitle. So I called the project manager back and refused the job because the rate was inappropriate. I explained to her that, being a staunch defender of proper rates for the profession, I could not, in good conscious, agree to such a low rate.

It was the first time that I was getting contacted to subtitle a programme that would run on Amazon. Along with that, I was also offered a dubbing project at a relatively acceptable rate of 28.60 € per minute, and I accepted that one.

Is this type of offer new to you?

Yes, it’s quite new. I recently began getting offers for the platforms with rates that were usually quite good. This Amazon project was the first one I was offered with such a low rate. I hope my refusal will help the author groups, which are currently fighting for our rates, to obtain a much-needed increase.

Certain authors would be pleased with this rate of 16 € per minute. What do you think of that?

It was the first time anyone was offering me such a low rate. Certain platforms base their rates on the programme’s prestige. Amazon doesn’t seem to have taken that route.

Be that as it may, regardless of a programme’s prestige, that rate does not at all align with the qualifications and experience required to do this work. You also have to deduct your expenses, the cost of your equipment, etc. That forces you to work more in order for a project to be profitable, which I think is incompatible with quality, and a normal family or social life. You become a slave to your work.

Why then do some authors agree to work at that rate?

In our line of work, passion and enthusiasm are the main drivers. They incite a lot of translators to accept these conditions, especially early in one’s career, with the naïve hope that better things await around the corner. I perfectly understand that they have the impression that they have no choice. I also know that it’s easy for me to refuse unacceptable rates because I’m lucky to be able to work on prestigious projects, usually for the cinema. But I feel it’s in the interest of any and all translators to adopt this approach, to stand firm and not short-change yourself.

A study conducted by Audiovisual Translators of Europe (AVTE), which will be published soon, shows that the best-paid authors are the ones who negotiate their rates, irregardless of their experience or training.

Yes, because in reality, refusing bad rates gives you more time to work, which is essential, especially when you’re just starting your career. You’re building an image, a reputation, a better, more qualitative professional profile, which, I believe, in the long run will attract better projects, better rates and better working conditions. Once you’re recognised as a quality translator, who works for proper rates, you’re more likely to be offered better projects and better rates. It’s a virtuous circle. However, when you accept rates that are too low, you’re quickly labelled and given the worst-paid projects. You have to work more, one project after the other, possibly even sacrificing quality, and you’re left with no opportunity to look for new clients. You get locked into a vicious circle with no chance to have the time or energy to break out of it. That’s why it’s very important to set a base rate and stick to it, especially early in your career. For me, it’s about professionalism and solidarity with the community of audiovisual translators. And it’s also about self-respect. When you respect yourself, you inspire others to respect you.

Should we support the idea of an official, minimum base rate for the work we do? Would we run the risk of having all rates align with this minimum, to the detriment of the best-paid authors?

A few years ago, when the platforms arrived on the scene, our clients got a new category of projects to work with. For us, the work is the same. However, the market forced us to define a rate based on where the programme would be shown, with television and platforms on one side and theatrical (cinema) on the other. Today, we see that the theatrical rates are still in a separate class. They have not been constantly reduced like the ones for other types of distribution. I don’t think that imposing a minimum rate would drive the rates down overall.

I’m not personally affected by the drop in rates, but there’s only a handful of us in my situation. I think it’s all the more important to take a stand and make it known. I want to defend our entire profession, authors of all ages as well as experienced authors and beginners just starting out. Maybe my position will enable us to strengthen the message we’re all trying to get out.

Let’s go back to the rate of 16 €. For a 45-minute programme, that amounts to 720 €. Using the rate that you and industry professionals recommend, the subtitling would have cost about 2835 €. The difference between a good and bad rate is, in this case, 2115 € per episode, which seems insignificant given the production and distribution budgets these programmes have. How do you explain this?

I don’t understand it. It blows me away, it doesn’t make sense. How can there be such a huge gap between the astronomical budgets for these projects and the measly and insulting rates they offer us? For the person adapting the programme, the difference is quite significant. But considering the global production costs for these programmes, that’s peanuts. And they’re degrading the industry and the quality of the programmes because of it. And on a daily basis, authors end up having to fight for a few extra hundred euros, or even just a few extra euros.

I know there is a phenomenal number of projects out there, and our end clients are certainly very concerned about the financial aspect. But looking at each individual production, it’s a drop in the bucket. I don’t have a crystal ball to see what’s really happening behind the scenes as regards the production and distribution process, but it seems crazy to me. How is it that I can be paid nearly 10 times more than other authors for the same work and for the same end client? Including the hit shows that cost millions to produce. Where is the money going? The work is always the same for us. Who decides that a project will get a cheap translation abroad while another will be translated in France? Why are some projects entitled to a professional translation and others are not? Who makes those decisions? Without us, these programmes would never be able to be distributed around the world. We’re an essential cog in the distribution wheel for these programmes.

Why is the subtitling or the dubbing of a programme essential for its distribution?

The original language version of the programme stands on its own when you understand the language. Our work is to make it accessible, as discreetly as possible, to viewers who don’t understand the language while remaining faithful to the original work. I would say our goal is to try to make it shine. When I choose a word, it’s to carry a message, to transmit it as strongly and as best as possible. Our adaptation has the possibility to give it incredible strength. There are lines from dubbed programmes that still resonate with new generations that can become cultural references.

In Imaginary Homelands, Salman Rushdie writes: "It is normally supposed that something always gets lost in translation; I cling, obstinately, to the notion that something can also be gained."

Absolutely. Certain adaptations have become classics. Only a professional adaptation can attain those heights of quality. A bad amateur translates words. A good professional translates ideas and emotions. And in the case of audiovisual adaptation, the register is even broader because we have to take into account what’s on the screen, the sound, the editing style and the shots.

We could say that good subtitling or dubbing adaptation allows the viewer to have an infinitely more complete experience and let’s them discover a work that, without us, would be inaccessible. When the work is done well, viewers don’t even realise an adapter crossed their path. However, when the opposite it true, a bad, unprofessional adaptation can make a programme completely unwatchable.

According to a study conducted by the Entertainment Globalization Association (EGA) based on 15,000 consumers of streaming platforms, 65% said they stopped watching a programme because of its adaptation at least once in the year. And 30% are forced to stop watching something each month. Some say the drop in quality is due to a lack of adapters, or rather good adapters.

In reality, a lot of subtitling work is sent abroad because it’s a lot cheaper! There are enough competent, quality authors in France to handle the demand, and many of them are looking for work, but they can’t work for just any rate. Some of our clients are clearly less interested in quality. For questionable budgetary reasons, simulations and verifications, which are the phases where an adaptation is reread and checked, are no longer carried out. Others involved in the postproduction process, such as artistic directors are not pleased about this either.

Unfortunately, in the realm of audiovisual adaptation, I’m afraid subtitling gets the short shrift. Even though Netflix’s approach failed, the fact that they used amateurs for a few months to subtitle their programmes is a good illustration of that. It reinforced the idea that subtitling was easy and that anyone could do as a hobby. We now see that that false and misleading idea stuck. Furthermore, the quality of the subtitles for Netflix is regularly flagged in the media and on social networks.

Where does this lack of interest in quality with distributors come from?

One possible explanation for this reduction in stringency is that the “localisation” managers, (a term I hate actually) are getting younger. They have a business background. They no longer really have any artistic of cinematographic sense. They sell "products". This trend started about 20 years ago when the number of cable channels was going up exponentially and the amount of work started increasing. As a result, subtitles are nothing more than an element in a sales and content distribution agreement.

Certain projects are processed using artificial intelligence, and the results are more or less checked by human operators who don’t even always see the programme. We’ve all noted the horrendous results that such a process yields. As I see it, what’s called "artificial intelligence" is both one of the biggest threats and one of the biggest failures out there to come along for the work we do. An artificial intelligence will always be artificial. It will never be able to communicate nuances and emotions, which give the programmes we adapt their humanity. When we adapt a programme, we spend time thinking about each word we choose, each comma, so that we do the programme justice. A machine can’t do that. I’m convinced that we, humans, will continue to be the masters of translating irony, sarcasm, double-entendre, and formal and informal registers ("tu" or "vous"), for example.

This excitement over all-things-automatic has already had an impact on how we work and on the tools that certain clients force us to use. The word "productivity" is quickly replacing the word "quality", and I think that’s very sad.

How do we break out of this vicious circle?

I think the collective bargaining actions are yielding encouraging results. They’re heading in the right direction for dubbing projects [an increase in the dubbing rate has moved it closer to the industry-recommended rate of 33 € ]. As for subtitling, for the moment, the results have been much less conclusive. We need to get heard. We’ve said it before, viewers are conscious of quality and it’s important to them. After all, the work we do is for their benefit. They are the ultimate end customer. Let’s complain to the platforms when unacceptable working conditions are imposed on us by the intermediaries. Let’s negotiate our rates, let’s tell the public about the real origin of the problems they’ve noticed, namely the working conditions we have to deal with. There’s a lot of great energy out there. Every day, I see talented young adapters, who are passionate about what they do and who are committed to “saving” our trade. The amazing author groups blazed the trail. They’ve proven that great results can be achieved by joining forces. So let’s keep the momentum going! Let’s stick together. Let’s ride the wave. Let’s stand united and make some noise to defend our livelihood!

English translation: Débora Blake

Un changement de paradigme ?

Entretien publié dans le Bulletin des Auteurs du SNAC (Syndicat national des auteurs et des compositeurs), numéro 152 – janvier 2023.

Bulletin des Auteurs – Que pensez-vous du sous-titrage sur interface en ligne ?

Collectif – Cette manière de travailler induit une transformation complète de nos conditions de travail mais aussi certainement de notre métier et, à terme, de notre statut. La société Deluxe Media Inc. (« Deluxe US »), comme Eikon, Iyuno ou TransPerfect qui fonctionnent de la même manière, propose de sous-titrer les programmes pour le monde entier, notamment pour les plateformes de VOD (Netflix, Disney+, Amazon Prime Vidéo…) et, dans une moindre mesure, pour les sorties en salles. Pour ce faire, ils imposent aux auteurs de travailler sur une interface en streaming nommée, chez Deluxe US, « Sfera ». L’auteur ne peut communiquer que par mail avec le « Project Coordinator » qui lui est attribué. Ces « PC » ne connaissent pas notre métier, ce qui est une source constante d’erreurs et de perte de temps. La division du travail fait que le coordinateur n’a aucune latitude, alors il esquive toute question, en usant d’une novlangue qu’il serait intéressant d’étudier pour évaluer son influence dans ce projet novateur.

Les erreurs innombrables concernant le projet, erreurs sur le travail à accomplir, erreur d’envois de la version du film, qui n’est pas toujours la dernière en date, provoquent une cascade de mails inutiles, et d’injonctions à accomplir des tâches qui n’ont parfois pas de sens. Comme, par exemple, l’obligation de soumettre trois titres français pour un film tiré d’un livre qui a déjà un titre en français, alors que le film sera diffusé avec son titre original. On peut parfois recevoir plus de 100 mails pour un film peu bavard, alors qu’avec un laboratoire français tout se règle en une dizaine de mails et quelques appels.

La plateforme Sfera n’est pas performante, pas assez précise (moins que les premiers logiciels des années 1980) et, outre le fait qu’elle plante régulièrement, faisant à l'occasion disparaître nos sous-titres comme dans les années 1990 au temps des logiciels à disquette, elle tente d’imposer un nouveau modèle de travail qui modifie toutes les étapes du sous-titrage, pour nous amener lentement vers la disparition de notre autonomie et de notre souveraineté.

B. A. : Quelles sont les différences principales ?

Collectif – La première étape est celle du repérage, tâche technique qui consiste à découper le dialogue en sous-titres vides. C’est une étape cruciale, qui n’a rien d’automatisable : le découpage doit suivre le rythme du dialogue et tenir compte du montage, afin de permettre une lecture fluide. Chez Deluxe, le repérage est fait par une machine ou par quelqu’un qui ne connaît rien à notre travail, et obéit aveuglément à des normes absurdes. En outre, un seul repérage est effectué pour les versions du monde entier, c’est-à-dire pour toutes les langues cibles, ce qui est une hérésie puisque, suivant la langue dans laquelle on traduit, on ne découpera pas le texte de la même manière. Deluxe prétend procéder ainsi pour que les auteurs de sous-titres puissent l’adapter à leur langue mais c’est de la mauvaise foi, c’est seulement une économie pour eux puisqu’ils ne font qu’un repérage, et que les auteurs doivent finalement le refaire quasi intégralement. Du moins, quand les auteurs en ont le droit, ce qui est très rare, surtout hors de France. Quelques auteurs facturent un supplément pour la reprise du repérage, mais tous ne sont pas en position de le faire car le rapport de force joue en leur défaveur. L’auteur reçoit donc une liste de sous-titres vides mal faite, appelée “template”. À l’opposé, lorsqu’on travaille sur nos logiciels, il est possible d’apporter tous les changements de repérage que l’on souhaite, modifier les time-code, rassembler deux sous-titres, les séparer, etc. Cela paraît anodin mais un bon repérage, c’est une étape cruciale dans l’élaboration d’un bon sous-titrage.

Chez Deluxe, il est interdit de modifier le repérage pendant toute la durée de l’adaptation, la deuxième étape du sous-titrage. Ce n’est que sur la dernière version du programme, une fois le montage jugé définitif, que l’autorisation est accordée d’opérer des changements. L’auteur adapte donc à l’aveugle dans un premier temps, en faisant le pari que s’il prévoit tels changements de repérage, l’adaptation conviendra. Ce n’est qu’à la dernière relecture qu’il saura s’il avait raison. En temps normal, l’auteur tâtonne, se questionne, essaie des choses qui ne fonctionnent pas toujours, bref, ce que fait tout humain au travail : il réfléchit.

B. A. – Pourquoi n’a-t-on pas le droit de toucher au repérage avant la fin ?

Collectif – Parce que Sfera est tellement automatisé qu’il ne peut pas le gérer, ce qui trahit un manque de professionnalisme et de savoir-faire, et indique clairement que l’ensemble du processus n’est pas conçu pour nous laisser modifier le repérage. Un exemple de plus de l'automatisation comme source d’inefficacité, d’autant que Deluxe peut nous demander de travailler pendant des semaines sur des versions non définitives pour finalement nous laisser deux jours en bout de course pour tout reprendre sur l’image finale.

La troisième étape, c’est la simulation. Lorsque le travail est fini, on se rend habituellement dans un laboratoire pour visionner le film avec la cliente ou le client, et la personne chargée de cette opération au sein du laboratoire. C’est un moment essentiel où l’on montre notre travail à des regards neufs, des gens qui pensent, qui réagissent à ce qu’ils voient, et nous échangeons en direct pour améliorer la qualité du travail. Au contraire, sur cette interface, cette étape de la simulation ne peut avoir lieu dans la majorité des cas, puisqu’on ne se parle pas, on ne se voit pas. Il y a seulement un « Quality Check » (QC), fait par on ne sait qui, on n’a aucun contact même par mail avec cette personne ou cette machine qui balance des corrections qu’il nous est seulement possible d’accepter ou de refuser en cliquant sur le bouton prévu à cet effet. « Oui » ou « Non », aucune nuance, aucune discussion. Parfois, cette relecture à distance est même faite par Deluxe sur la version non définitive, ce qui revient à une perte de temps colossale pour tout le monde. Certains clients ou réalisateurs imposent tout de même une simulation, alors même qu’ils confient le sous-titrage à Deluxe, car il faut rappeler que cette société n'est finalement qu’un prestataire technique, dont le rôle devrait être de se mettre au service de la qualité de l’œuvre et de l’adaptation.

Cette organisation, très hiérarchisée, fonctionne de manière totalement rigide et la lourdeur des procédures et des prises de décisions entraîne des retards et un manque de souplesse dommageables à la qualité, notamment dans l’urgence imposée lorsque les réalisateurs font des modifications de leur œuvre jusqu’au moment de la diffusion, ce qui est fréquent, mais ce ne sont pas les seuls cas. Nous avons calculé que l’interface et les processus nous font perdre environ 40 % du temps alloué à la traduction. Ainsi, alors que la phase adaptation est la plus importante, et que l’étape des QC est très secondaire, Deluxe part du principe inverse et privilégie les QC. Par contraste, avec nos clients et les labos traditionnels basés en France, nous parlons le même langage et nous mettons tous nos efforts au service d’un travail de qualité livré dans les délais, même très courts, ce qui semble absolument impossible avec Deluxe.

B. A. – Quelles seraient les conséquences si ce modèle s’imposait ?

Collectif – Pour vous donner une idée de ce qui nous attendrait si le modèle proposé par Deluxe s’imposait, vous pouvez lire l’analyse du sous-titrage français du film Roma, publiée sur le blog de l’Ataa. La qualité catastrophique de nombre de sous-titrages sur Netflix et Amazon s’explique principalement par ces conditions de travail, couplées, pour la grande majorité des traducteurs – choisis par ces prestataires sur des sites d’amateurs comme ProZ – à des rémunérations indignes, largement inférieures au Smic horaire.

Mais le plus grave, ce sont les problèmes de fond posés par cette nouvelle façon de travailler. Nous assistons potentiellement à une surveillance à distance des traducteurs, nous sommes obligés de nous connecter pour travailler, ce qui nous limite dans notre choix du lieu où travailler, car il faut une excellente connexion. Deluxe peut tout connaître de notre rythme de travail : à quel moment on se connecte, quel jour ou à quelle heure on travaille et on ne travaille pas, une jauge calcule en pourcentage notre progression, combien de sous-titres sont créés par jour. Cela paraît anodin mais pourrait entraîner des dérives et des entraves à notre liberté d’indépendants.

En outre, le logiciel est fait de telle manière que les sous-titres, au fur et à mesure de leur création, sont captés par l’interface, il est donc impossible de sauvegarder nos différentes versions, auxquelles il est pourtant parfois utile de revenir pour comparer et donner droit à des « repentirs ». Il nous est également impossible d’exporter nos sous-titres pour les relire, ou de les imprimer à partir de l’interface, nous devons pour cela demander au Project Coordinator d’exporter nos textes pour faire la relecture, et encore, à condition qu'il accepte. C’est une perte de temps, ce qui est d’autant plus incompréhensible que d’autres logiciels en streaming pour d’autres labos le permettent sans restriction.

Il reste également difficile de connaître le nom de l’auteur du doublage, et donc d’échanger pour harmoniser le travail et améliorer la qualité finale. La seule « communication » passe encore par un document en ligne qui met souvent les auteurs de sous-titrage devant le « choix accompli » concernant les traductions imposées de certains termes ou expressions ; et ce, très souvent en toute dernière phase d'adaptation voire après, ce qui oblige à revenir sur des heures de réflexion au lieu de réfléchir en amont avec l'auteur.e de la VF. Toutes ces contraintes sont souvent justifiées par Deluxe comme des mesures de sécurité, mais cet argument n’est-il pas un moyen d’abuser de son pouvoir et de prendre le contrôle du travail d’auteur ? Où est le danger de communiquer entre auteurs pour assurer une meilleure qualité à l’œuvre ?

B. A. – Quelles sont les visées de ce nouveau modèle ?

Collectif – On peut se demander pourquoi ce nouveau système confisque nos textes, quel est l’intérêt de ces plateformes de nous imposer cette manière de travailler ? Est-ce pour nous habituer à l’idée de nous déposséder et de nous mener vers un changement de paradigme et le début de la fin du droit d’auteur ? D’autre part, une question annexe, mais qui mérite d’être posée, surgit : nos textes happés par Deluxe servent-ils à « engraisser » les machines à traduction artificielle ?

Une colonne « Traduction automatique » a, à une époque, été proposée sur Sfera, qui délivrait une traduction déjà faite, et corrigeable. Cette option a rapidement été écartée pour la France, nombre d'auteurs l'ayant tout bonnement refusée. Mais notons qu'accepter cette proposition reviendrait pour l’auteur à devenir post-éditeur, et peu à peu, il n’y aura en effet plus de raison de lui permettre d’accéder à ses textes car il ne sera plus auteur de l’œuvre, seulement un technicien correcteur sous-payé. Nous perdrons alors toute notre souveraineté. L’auteur, ce sera la machine, et c’est le correcteur qui deviendra interchangeable.

NB : Il convient de lever toute confusion entre Deluxe Media Inc., la société américaine dont nous parlons ici, et Deluxe Paris Media, qui est un laboratoire de sous-titrage et un studio de doublage basé à Paris.

Sous-titres désastreux des plateformes de streaming : la faute à qui ?

En cette fin d’année 2021, ce n’est pas peu dire que le sous-titrage fait parler de lui. Écho du scandale Roma, le Squidgate est venu rappeler le caractère essentiel de ce mode de traduction et la qualité souvent désastreuse des sous-titrages proposés par les grandes plateformes. Le site RestOfWorld.org s’inquiète, « Lost in translation : l’explosion du streaming génère une grave pénurie de traducteurs. » Le groupement professionnel EGA, qui rassemble les plus grosses sociétés de localisation du monde, publie une étude relayée par le prestigieux site Businesswire, montrant que 61 % des spectateurs rencontrent tous les mois des problèmes avec le doublage et le sous-titrage de programmes en streaming. Le Guardian n’est pas en reste et se demande, « Où sont passés les traducteurs ? »

Sous-titrage au festival de Deauville

Pourquoi tant de haine pour les œuvres et les spectateurs ?

À l’heure où des laboratoires de post-production et des commanditaires commencent à s’intéresser aux intelligences artificielles censées permettre des sous-titrages plus rapides et moins "coûteux", il est bon de rappeler à quoi ressemble une traduction automatique. Contrairement à ce que l’on entend, c’est loin d’être au point.

Le 46e Festival du cinéma américain de Deauville, qui s’est tenu (masqué) du 4 au 13 septembre 2020, en offrait un bon exemple. Rarement a-t-on vu autant de sous-titrages bâclés. Sauf pour quelques rares films de la compétition, qui étaient sous-titrés de façon professionnelle, ils étaient au mieux difficiles à lire et bourrés d’erreurs, et au pire totalement absurdes et incompréhensibles.