Rencontre avec Florian Etcheverry

Membre du jury de l’adaptation en sous-titrage 2023

Lori Rault, Cécile Denise, Rachèl Guillarme, Quentin Rambaud, Florian Etcheverry et Florence Curet pour le jury, Emmanuel Menouna Ekani, Lucinda Treutenaere et Éléonore Boudault pour les lauréat·es

Vous êtes critique de cinéma indépendant pour Les Écrans terribles. Comment s’est déroulé votre travail de juré pour les Prix ATAA ?

Au sein du jury, j'étais le seul professionnel non spécialisé dans le domaine du sous-titrage. Aussi, mon rôle s’apparentait à celui d'un consultant : je portais davantage attention à la qualité de la restitution et à l’expérience artistique qu'aux critères techniques, qui étaient discutés par les autres membres du jury. Dans ce domaine, je leur faisais entièrement confiance. De mon côté, j’ai apporté mon expertise et ma sensibilité. Je regarde énormément de films et de séries en VOST, et même si je parle couramment anglais, j'accorde une grande importance à la qualité des sous-titres. Ils sont essentiels à la restitution d’un programme. Mais leur qualité ne va pas de soi, souvent j’observe que les sous-titres me font sortir de l'histoire...

Comment avez-vous procédé pour évaluer les œuvres non-anglophones ?

J'essayais de juger la fidélité des sous-titres par rapport à ce que je percevais de l'esprit du film, de son histoire et de son essence. Lorsque des sous-titres sont réussis, ils offrent une aide et un confort. Leur lecture ne doit pas prendre le pas sur l’action qui se déroule à l’écran. Par exemple, le film finaliste La Loi de Téhéran représentait un défi en termes de sous-titrage. C’est un film très intense à suivre, avec de nombreux dialogues, de multiples injonctions et coups de pression. Les personnages parlent très vite et hurlent souvent des paroles que l'on ne comprend pas. Cependant, j'ai trouvé que son adaptation s'en sortait remarquablement bien. Cela sautait aux yeux, même sans entrer dans les considérations techniques. Le registre de langue était perceptible à l'écran. Même sans comprendre le persan !

Ces dernières années, estimez-vous qu’il y ait eu une évolution dans la qualité des sous-titres ?

Selon moi, la situation est ambivalente. La montée en puissance des plateformes de streaming devait offrir plus de choix de langues. C’était l'une de leurs promesses. Elles étaient censées remplacer les contenus des DVD et, proposer instantanément des versions multilingues, ce que n’offrait pas toujours la télévision traditionnelle. Et il est vrai qu’en termes de volume, nous observons une présence accrue de sous-titres français. Cependant, en termes de qualité, il y a une plus grande variabilité. Cela dépend évidemment des plateformes et de leur politique interne en matière de sous-titrage. Cet aspect relève des coulisses. Mais, en tant que spectateur, j'ai remarqué que certains programmes avaient des sous-titres un peu négligés et des formulations malheureuses. Cela dessert l’œuvre. Bien que le volume de sous-titrage ait augmenté et qu'il n’ait jamais été aussi facile de regarder un programme en version originale sous-titrée, cela ne garantit pas une consistance qualitative des sous-titres.

Dans ce contexte, que pensez-vous de l'arrivée et de l'évolution des plateformes ?

Nous avons assisté à l’arrivée successive de Netflix, Prime Vidéo, Disney + et Paramount +. Je pense que, contrairement à ce qu'on veut nous faire croire, il y a de la place pour tout le monde. Cependant, il y a une grande incompréhension autour de la stratégie de ces plateformes. Par exemple, Netflix produisait initialement pour un large éventail de niches cinématographiques et de publics. Mais avec la diminution récente de son nombre d'abonnés, la plateforme a décidé de se concentrer sur les niches les plus fidèles, en favorisant les franchises de genre destinées à un public relativement jeune, ainsi que des franchises d'animation ou familiales. Disney + a suivi cette même stratégie lors de son lancement en France. Alors même que nous étions impatients d’avoir accès aux grands classiques de la Fox et des studios Disney. Or, l'accent est principalement mis sur leurs grandes productions originales et de nombreuses séries, au détriment des films.

La promesse d’un eldorado pour cinéphiles est donc déçue ?

En effet ! Les catalogues de fond cinématographique ne sont pas vraiment accessibles sur les plateformes des studios américains. En revanche, nous sommes chaque semaine, noyés par les nouvelles catégories ajoutées au catalogue de Netflix, Prime Vidéo et Disney +. Le défi réside aujourd’hui dans la promotion de ces contenus, car ils sont dilués dans la masse et n'obtiennent pas nécessairement une visibilité optimale. Cela donne même l'impression d'un manque d'engagement de la part des plateformes.

L'économie de l'attention est devenue un enjeu majeur, avec la nécessité pour les plateformes de capter l'attention du public et de maintenir l’engagement des abonnés. Avec cette logique, les programmes sont diffusés en espérant un retour sur investissement rapide, mais sans visibilité artistique suffisante. En réalité, de nombreux programmes sont considérés comme jetables et passent pratiquement inaperçus. Par exemple, un cinéphile français lambda aura plus de chance d’entendre parler d’un film russe ou espagnol sorti dans cinq ou dix salles pendant deux semaines, que de la production non occidentale des plateformes. Uniquement parce qu’il aura lu une critique dans Libération ou écouté France Culture.

Pensez-vous que cela ait un impact sur la qualité des sous-titres ?

Face à cette réalité, je ne pense pas que l’on sera ébloui par la qualité des sous-titres… Souvent, les traductions ne bénéficient pas de budgets conséquents. Seulement, personne ne se désabonne pas à cause de mauvais sous-titres : le spectateur change simplement de programme.

Selon moi, il y a un manque général de réflexion sur l'éditorial des plateformes, ce qui peut avoir un impact sur la diversité et la qualité des contenus proposés. Les plateformes ont parfois du mal à donner une véritable chance à tous les contenus au profit de programmes européens ou occidentaux, ce qui limite l'exposition aux œuvres provenant d'autres régions du monde. Une partie de l'offre reste ainsi cachée. Cependant, certaines industries ont réussi à se démarquer et à gagner en visibilité. Le cinéma coréen en est un exemple : autrefois confidentiel, il bénéficie aujourd’hui d’un énorme succès. Cependant, il est possible que ce phénomène soit le fruit du bouche-à-oreille plutôt que d'une stratégie de communication des plateformes.

Dans ce contexte, quel poids peuvent avoir les Prix ATAA, selon vous ?

Les initiatives telles que la cérémonie des prix de l’ATAA jouent un rôle essentiel dans la visibilité des métiers de l'audiovisuel. Elles permettent de mettre en avant le travail des professionnels de l'industrie, de valoriser leurs réalisations et de sensibiliser le public à l'importance de ces métiers. Les Prix ATAA mettent en avant les films et les sous-titres qui se distinguent par leur créativité et leur respect de l'œuvre originale : il est important de perpétuer cet enthousiasme et de reconnaître la qualité des doublages et des sous-titres, car ils contribuent grandement à l'expérience globale de visionnage.

Aujourd’hui, quels sont les enjeux selon vous ?

Il est nécessaire de veiller à ce que chaque programme, chaque série ou film, respecte les normes de qualité en matière d'adaptation, afin de garantir une offre culturelle diversifiée et enthousiasmante sur les plateformes. Dans l'ensemble, il est nécessaire de sensibiliser le public à l'importance de la qualité des sous-titrages et des doublages, ainsi qu'à la diversité des choix linguistiques. Une éducation à ce travail contribuerait à une meilleure appréciation et à une meilleure compréhension des adaptations audiovisuelles. Cela permettrait ainsi aux spectateurs de porter un regard critique sur la qualité ou la médiocrité des sous-titres ou des doublages.

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