Les traducteurs tissent leur toile

Entretien croisé entre Valérie Julia et Samuel Bréan

Au moment où le premier numéro de L’Écran traduit voit le jour, TransLittérature1, la revue de l’ATLF, s’offre Internet et met en ligne tous ses anciens numéros. Entretien croisé entre Valérie Julia, coordinatrice du projet de mise en ligne de TransLittérature, et Samuel Bréan, membre du comité de rédaction de L’Écran traduit (cet échange est publié simultanément dans le numéro 44 de TransLittérature, daté de janvier 2013).

Valérie Julia : Pourrais-tu nous donner quelques repères chronologiques ? Création de l’ATAA, du blog, du site… Dans quel ordre cela s’est-il fait ?

Samuel Bréan : L’ATAA est née en 2006, pour fédérer les traducteurs de ce secteur, mais aussi pour faire connaître la traduction audiovisuelle et ses métiers, tout particulièrement aux spectateurs, qui se demandent trop rarement comment sont traduits les films et les séries et par qui. Le blog a suivi en 2009, mais nous avions déjà conçu le site de l’association avant sa création officielle et sa première assemblée générale. Depuis, il y en a eu deux autres versions. Assez vite, la création d’un blog s’est imposée, pour faire circuler plus rapidement certaines informations liées à l’actualité. Il nous a aussi donné une première occasion de réfléchir à notre pratique et de nous adresser à un plus large public. On a donc constitué un comité de rédaction (cinq personnes actuellement). Jusqu’à maintenant, ce blog publiait à la fois des annonces ponctuelles liées à la vie de l’association et des traducteurs (réunions publiques de l’ATAA, changements dans le fonctionnement des sociétés d’auteur, etc.), mais aussi des traductions de textes issus de différents autres sites professionnels, des articles de fond (un « journal de bord » de tutorat, du point de vue d’une étudiante ; un texte sur le détournement et la traduction audiovisuelle…), des textes de chercheuses sur certains films en particulier (un dossier sur le doublage du film de Quentin Tarantino Inglourious Basterds en trois textes, de Carol O’Sullivan et Nolwenn Mingant et un troisième dû à Anne-Lise Weidmann). Pour les textes de fond, la difficulté principale, c’est de trouver des contributeurs hors du comité de rédaction. Les traducteurs de l’audiovisuel, même lorsqu’ils écrivent par ailleurs, n’écrivent pas volontiers sur leur pratique, ou disons qu’on a du mal pour l’instant à obtenir des contributions.

Valérie Julia : Oui, la recherche de contributeurs variés représente aussi un énorme travail pour une revue comme la nôtre. Il faut essayer d’élargir bien au-delà du comité de rédaction, pour ne pas transformer la revue en « club privé ».

Pour nous, la chronologie est carrément inverse. L’ATLF est née en 1973, à une époque où il n’était même pas question d’Internet ! Nous fêterons d’ailleurs cette année les quarante ans de l’association. Dix ans plus tard, ATLAS a vu le jour, pour assurer la promotion du métier de traducteur, et TransLittérature est née en 1991 de la volonté de ces deux associations. En 1991, Internet avait encore une place réduite dans la vie des traducteurs. Il n’y avait toujours pas de site, ni pour l’ATLF, ni pour ATLAS, ni pour la revue. La première mouture du site de l’ATLF date de 1999, et nous allons cette année mettre en chantier sa refonte graphique. Quant au blog de l’association, sa création est assez récente : elle date de 2011.

Qu’est-ce qui fait que vous avez voulu créer une revue, en plus du blog ? Est-ce que c’est une question de statut des textes ? Vous avez publié sur ce blog un mélange de textes longs et de billets plus courts, ça ne fonctionnait pas ?

Samuel Bréan : Non, ce n’était pas forcément un problème. Mais l’avantage de la revue, c’est que ça donne une échéance. Pour le blog, le rythme peut être assez irrégulier, on fait les choses quand on a le temps de les faire ou quand l’actualité l’exige. Avec une revue, on aura une date de bouclage où tous les textes devront être prêts en même temps. Et puis, c’est un outil de plus pour faire connaître nos métiers. Nous avions un site, un blog, nous avons créé un Prix du sous-titrage en 2012, un Prix du doublage en 2013. Nous lançons maintenant une revue : ce sont autant de moyens pour promouvoir la traduction audiovisuelle en tant que maillon incontournable de la chaîne de production d’un film.

Valérie Julia : Côté TransLittérature, lorsque le blog de l’ATLF a été créé, nous nous sommes demandé si ça n’allait pas faire double emploi. Mais la question était en fin de compte assez théorique, car effectivement les rythmes ne sont pas du tout les mêmes, et la façon de parler des choses non plus. Il fallait néanmoins que quelqu’un du comité de rédaction de la revue soit aussi présent au blog, pour assurer la liaison. Chez nous, c’est Corinna Gepner qui fait le lien. On peut bien sûr aborder certains sujets communs, il suffit d’avoir un œil sur la façon dont ils ont été traités pour éviter les doublons.

Samuel Bréan : Chez nous, deux personnes sont membres à la fois du comité de lecture du blog et du comité de rédaction de la revue, il s’agit d’Anne-Lise Weidmann et de moi-même, ce qui nous permettra de décider quels textes relèvent davantage du blog ou de la revue.

Valérie Julia : Avez-vous quelques chiffres sur la fréquentation du blog ?

Samuel Bréan : Les statistiques sont un peu en dents de scie : en temps normal, on enregistre en moyenne 150 visiteurs uniques par jour (et entre 250 et 400 pages vues, ce qui veut dire que chacun de ces visiteurs uniques consulte une ou deux pages). Mais les jours fastes, ça peut monter à 400-500 visiteurs uniques (et 1 000-1 500 pages vues), quand un billet particulier est bien relayé sur Facebook, sur les listes de diffusion de l’ATLF ou de la SFT. L’ATAA a aussi une page Facebook sur laquelle est signalé chaque billet de blog.

Valérie Julia : Translitterature.fr a reçu 1 200 visites la première semaine ! Ce qui est intéressant dans l’analyse de la fréquentation, c’est de pouvoir repérer la provenance des visites. J’ai eu le plaisir de voir qu’on avait beaucoup de visites d’autres pays d’Europe (Espagne, Italie, Angleterre, Allemagne, etc.), ce qui en soi n’est pas très étonnant pour une revue de traduction, mais cela veut dire aussi que l’information circule bien par le biais des différentes associations membres du Conseil Européen des Associations des Traducteurs Littéraires (CEATL). Nous avons publié beaucoup d’articles ou de dossiers sur les conditions d’exercice du métier à travers l’Europe. Il y a maintenant un maillage associatif important au niveau européen.

Samuel Bréan : Pour créer ce site, est-ce que vous êtes allés voir ce qui se faisait sur la toile en matière de revues en ligne ?

Valérie Julia : Oui, il y avait deux possibilités : un portail de revues ou un site propre. Le portail www.revues.org, par exemple, sur lequel Palimpsestes, entre autres, a été mise en ligne, ne nous a pas semblé adapté. Il s’agit d’une plateforme de revues de sciences humaines et sociales, plutôt universitaires, dont les critères de sélection sont assez précis. TransLittérature n’y entrait pas. Nous avons donc décidé de créer un site propre, et nous avons confié ce travail à une web-designer, Sophie Desmyter, qui a construit le site et a très bien compris ce que nous recherchions. Nous voulions avant tout que ce soit un outil de travail permettant d’accéder facilement à tout le corpus de textes publiés depuis 1991. Ce site n’a pas vocation à être animé comme une revue en ligne, nous mettrons simplement en ligne chaque numéro papier six mois après sa sortie.

Pour naviguer dans la base de données, nous avons fixé quatre critères de recherche : par numéro de revue, si on sait déjà où se trouve ce que l’on cherche, par rubrique, par nom d’auteur et, enfin, par mot-clé. Nous avons relu les 43 numéros afin de choisir deux ou trois mots-clés ou thèmes par article. Enfin, le choix du format PDF téléchargeable nous a semblé le plus judicieux. Pour passer en html, il aurait fallu refaire la mise en pages pour chaque article, et on n’avait hélas pas de temps à consacrer à cela.

Samuel Bréan : TransLittérature était une revue assez… confidentielle.

Valérie Julia : Tu peux le dire : nous tirons actuellement à 1 500 exemplaires. Internet lui donne ainsi une visibilité qu’elle n’avait pas. Ce qui ressort de la lecture de tous les numéros, c’est la  mobilisation de toute une communauté de traducteurs autour des problématiques de la traduction. Et puis, pour les jeunes traducteurs qui débutent (et peut-être aussi pour d’autres moins jeunes qui auraient raté les infos à l’époque !), tous les articles liés au contexte professionnel donnent des repères historiques sur l’évolution du métier, sur sa professionnalisation, et c’est très précieux. Ces articles retracent vingt ans d’une profession, à un moment où celle-ci a commencé à se fédérer en tant que telle.

Samuel Bréan : Oui, en parcourant les anciens sommaires de TL, j’ai parfois eu l’impression de lire des archives de ce qu’aurait été le blog de l’ATLF s’il y en avait eu un dès sa création…

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