Jeu vidéo

La traduction de jeu vidéo, le vilain petit canard.

Introduction

La traduction de jeux vidéo est une discipline qui fait rêver : traduire le prochain Zelda, écrire les lignes de dialogue du prochain The Witcher, ou encore les descriptions d’objets de la prochaine extension de World of Warcraft… L’idée fait battre le cœur de beaucoup de personnes passionnées par ce médium.

En revanche, si elle entre bien dans la catégorie de la traduction audiovisuelle, la traduction de jeux vidéo possède des caractéristiques qui lui sont propres. Nous allons voir dans ce guide les éléments qu’il faut avoir en tête si on souhaite se lancer dans cette discipline.

L'univers du jeu vidéo et son jargon

La traduction de JV semble à la portée de n'importe quel traducteur ou amateur de JV. La réalité est plus complexe. Certes, elle ne requiert la plupart du temps pas d’expertise pointue dans un domaine particulier, mais une personne hermétique à l’univers du jeu vidéo aura du mal à s’y retrouver.

C’est en effet un médium qui possède des codes, des formulations toutes faites et des termes techniques bien précis. On pensera par exemple aux pages entières de paramètres qu’il faut traduire, avec des options de plus en plus poussées comme « l’ATH », « l’anticrénelage », « le flou cinétique » : autant de termes que vous n’aurez probablement jamais croisés de votre vie si vous ne jouez que rarement (ou si vous ignorez tout du traitement vidéo).

Ensuite, lorsqu’on s’attaque à un jeu, il convient de se renseigner sur ce dernier. La plupart des licences adorent cultiver leur « lore » (l’histoire), étoffer leur univers, faire des références aux anciens opus… Quelqu’un qui ne connait rien à l’univers de World of Warcraft aura du mal à s’intégrer au projet lors de la 26e extension, par exemple.

Sans forcément être des vétérans du joystick, les traducteurices de jeux vidéo doivent avoir un certain attrait pour le médium et sa culture, afin d’en intégrer les codes et de rendre des traductions cohérentes, qui résonnent avec le public cible.

De l'audiovisuel sans l'image

Contrairement aux autres branches, en traduction de jeu vidéo, on travaille assez souvent sur un produit qui n’est pas terminé. Durant le processus de traduction, on n’a parfois pas accès aux visuels du jeu, et certaines lignes de texte peuvent changer en cours de route : on travaille « à l’aveugle ». De plus, les agences de localisation faisant souvent l’intermédiaire avec l’éditeur ou le développeur, les informations sont parfois difficiles à obtenir.

Très souvent, l’absence de contexte oblige à traduire de la manière la plus neutre possible et à rester vague, surtout en ce qui concerne le sexe des interlocuteurs. En effet, sans images, sans contexte et sans savoir qui parle à qui, hors de question de conjuguer un participe passé. Sans parler de l’utilisation du them en anglais qui peut régulièrement poser problème dans ce contexte.

C’est là que le logiciel de Traduction assistée par ordinateur (TAO) se révèle utile. Il y a souvent un volet « Aperçu » qui vous donne des infos sur le locuteur, lorsqu’elles ont été renseignées par les équipes de développement.

Ex : RANDOM_NPC_FEM_14

Ici, on sait que la personne qui parle est un personnage féminin.

On retrouve certains codes du doublage ou du sous-titrage dans le jeu vidéo : utiliser un nombre de caractères limité, coller le plus possible au texte, garder une longueur équivalente… Avoir un bagage dans l’une de ces disciplines peut s’avérer utile, mais sans avoir accès à l’image, impossible de réaliser un sous-titrage ou une synchro labiale correcte.

Des éléments visuels mis à notre disposition, telles que des bibles, des concept art, voire le scénario du jeu, peuvent aider à s’immerger dans le projet. Il y a donc parfois toute une étape de familiarisation qui est rarement rémunérée, mais qui est primordiale pour obtenir une traduction fluide et convaincante.

Typos, balises et scripts

L’autre particularité de la traduction de jeux vidéo, ce sont ses outils et ses codes techniques. Le doublage et le sous-titrage se pratiquent sur des logiciels spécialisés qui intègrent le son, l’image, ainsi que l’adaptation sur une bande rythmo ou une piste sous-titres. Ici, tout se passe dans un logiciel de TAO ou parfois même de simples pages Excel.

Un logiciel de Traduction assistée par ordinateur (TAO), qu’est-ce que c’est ? C’est une interface permettant de nous assister lors d’une traduction. Les pans de textes sont découpés en segments , et le logiciel se nourrit des traductions effectuées au fur et à mesure pour proposer des traductions sur les segments similaires d’un projet. On peut également créer des glossaires au sein du logiciel, ce qui est très pratique pour s’harmoniser à plusieurs, ou simplement pour gagner du temps et garantir la cohérence de la prochaine mise à jour trois mois plus tard.

Vous l’aurez donc compris, hormis les traductions destinées au doublage de cinématiques, la traduction de jeux vidéo se rapproche de la traduction « papier ».

En plus de maîtriser les différentes options du logiciel de TAO, il faudra faire très attention à la typographie. Il faudra se soucier des guillemets (chevrons, droits ou courbes), des apostrophes (droites ou courbes), savoir se servir correctement des espaces insécables, de caractères spéciaux aux codes obscurs… Tant de réflexes que nous perdons peut-être dans les autres branches de la TAV, car ils ne nous sont pas toujours utiles. Tous ces paramètres varieront de projet en projet à la demande du client.

Enfin, les textes seront régulièrement ponctués de balises et de variables qu’il faudra rendre rigoureusement à l’identique. Les balises peuvent représenter un retour chariot, une mise en forme de la police, élément cliquable (un lien), etc. Il faudra également réussir à déchiffrer certaines variables pour en comprendre le sens et savoir s’il est nécessaire de les traduire. Cela peut être déstabilisant, au début.

Ex : « Effectuez Kill_nb{2} éliminations pour remporter l’objectif »

Ceci est un compteur d'élimination.

Les mémoires de traductions : faux amis

La mémoire de traduction est un outil qui permet une harmonisation efficace tout au long d’un projet et lors des diverses mises à jour. C’est une fonction qui va garder en mémoire la manière dont certains segments ont été traduits pour les proposer automatiquement par la suite, si des segments à traduire similaires apparaissent.

« Super, c’est ça de gagné ! » Pas si vite ! Ça n’est pas parce qu’un segment a été pré-traduit par la machine à l’aide de la mémoire de traduction qu’il n’y a rien à vérifier. Même un segment dit à « 99% » peut comporter plusieurs choses à modifier, comme une ponctuation, une balise qui diffère, un genre, un nombre… Un excès de confiance en son logiciel peut nous faire omettre un élément capital lors de la traduction, laisser passer une ânerie.

En lisant ça, on pourrait croire que la mémoire de traduction « prémâche » tout de même le travail des traducteurices. En tous cas, c’est ce qu’estiment la plupart des agences. Sont donc imposées des grilles dégressives de ce genre.

Figure 1 - Tableau dégressif en fonction des "fuzzy match"

Plus le segment est similaire à un segment traduit précédemment, moins il vous sera payé.

C’est comme si, en doublage et en sous-titrage, les flashbacks et tous les passages à repiquer chez les collègues n’étaient payés qu’à 20 %, car traduits par quelqu’un d’autre.

Ce système de fuzzy grid n’est possible que grâce aux mémoires de traduction, et il est communément accepté dans le métier depuis des années. Il faut néanmoins être vigilant et s’assurer que les pourcentages de ces grilles ne diminuent pas d’année en année, car leur impact (déjà visible) sur les revenus pourrait devenir non négligeable.

Un travail d'auteur pas encore reconnu

Enfin, petite parenthèse pour affirmer que la traduction de jeu vidéo est un véritable travail d’adaptation, d’auteur. Nous devons composer avec les contraintes techniques et le manque de contexte, quitte à adapter le texte pour obtenir des traductions cohérentes et percutantes (ça ne vous rappelle rien ?)

De plus, en jeu vidéo, il faut réussir à immerger le joueur dans un monde imaginaire, afin de le happer dans l’histoire et de le transporter dans son univers. Un jeu mal traduit compromet cette immersion et peut gâcher l’expérience finale, d’où l’importance de savoir adapter et non traduire mot à mot.

Enfin, ce métier peut s’exercer avec le statut d’auteur.

Malgré ça, les traducteurices du jeu vidéo ne bénéficient pas encore des mêmes droits que leurs collègues du doublage ou du sous-titrage.

Pour commencer, aucun système de répartition des droits d’auteur n’est encore en place en France, du fait de la complexité d’une telle entreprise et des multiples acteurs du secteur qui sont souvent étrangers. Il y a des débuts de discussion à ce sujet, mais nous sommes encore loin de toucher des droits de diffusion dans le jeu vidéo.

En revanche, un point sur lequel les mentalités évoluent rapidement, ce sont les crédits. En effet, les traducteurices du jeu vidéo étaient jusqu’à présent rarement crédités au générique. C’est cependant une pratique qui se popularise plus en plus. Malgré quelques réfractaires, il est encourageant de voir que de plus en plus de développeurs mettent en avant leurs traducteurices.

C’est à nous de revendiquer ce statut, personne ne le fera à notre place. En tant qu’auteurs, nous devons à minima exiger d’apparaître sur les crédits d’une œuvre à laquelle nous avons participé.

Aussi, chacun doit pouvoir prétendre à une juste rémunération et à des conditions de travail décentes. La traduction de jeux vidéo a beau être un « métier-passion », elle n’en reste pas moins un métier, et il ne tient qu’à nous de le défendre.

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