The Witcher - Saison 2

Pourquoi ?

English version by Débora Blake available here.

Le sous-titrage catastrophique de la série Y, The Last Man a été récemment épinglé sur Twitter. Quand les sous-titres sont un tel charabia, pas de problème, on s'en aperçoit tout de suite et on arrête de regarder, ou on passe aux sous-titres anglais ou à la version française.

Mais plus traîtres sont les sous-titres tout simplement mauvais, majoritaires sur les plateformes de streaming, car ils tromperaient presque leur monde. L’anglais semble plus ou moins respecté, le français est vaguement correct, les phrases veulent (souvent) dire quelque chose, on suit à peu près l’histoire, mais... on rate tout le reste.

Démonstration par l’exemple, avec la série de Netflix à 10 millions de dollars l'épisode.


Le mot à mot

- Hunger makes for good sauce.   - Plus on a faim, meilleur c'est.
- It also makes for shitty lurches.     - Contrairement à tes fentes.

Dans la première ligne, "c’est" ne renvoie à rien, ce qui la rend incompréhensible. La deuxième ligne rebondissant sur la première, elle est tout aussi cryptique.

Quant à "fente", c’est la traduction littérale de "lurches", mais dans le vocabulaire ultra-spécialisé de l’escrime, ce qui achève d’obscurcir le tout, surtout à la vitesse où défilent les sous-titres. Tout ce qu’on peut se dire, c’est : « Mais de quoi ils parlent ? »

Une véritable traduction pourrait donner :

- La faim donne de l'appétit.
- Et des attaques lamentables.


- Until our life mission is complete.
- Which will be never.

"Notre mission de vie" est la traduction mot à mot de "Our life mission" mais... ça ne veut rien dire en français.

Dans la langue de Molière :

- Notre vie, c’est cette mission.
- Elle ne finira jamais.


Your actions turned the tide at Sodden Hills.

Outre le fait qu’une mage ne dirait jamais "Moi d’abord" comme si elle avait 6 ans ("Attends" suffirait), l’emploi du terme "vapeur" est très maladroit dans ce contexte médiéval. Le tout est alourdi par un mot à mot systématique.

Sous-titrer, c’est comprendre le sens et le résumer :

Tu as renversé le cours de la bataille à Sodden.


Have you looked into the mirror lately?
Prison didn't exactly do you any favors.

Encore une traduction mot à mot qui donne n'importe quoi : une prison ne peut pas rendre service. On dit que regarder en VOST apprend l'anglais. Peut-être, mais regarder cette VOST-là apprend surtout le mauvais français.

Une traduction fluide pourrait être :

Tu t’es regardé ?
La prison ne t’a pas fait grand bien.


Les niveaux de langue

Éternel fléau des mauvais sous-titres : le non-respect des niveaux de langue originaux, aggravé par des changements inexplicables de registre (on pense à Roma). Vidés de leur personnalité et de leurs particularismes, les personnages perdent toute cohérence et l'illusion de découvrir un monde crédible disparaît.

Ainsi, en anglais, Ciri s'exprime dans un registre très correct, mais jamais guindé. Elle est franche et spontanée, mais jamais irrespectueuse. Or les sous-titres massacrent ce travail d'écriture avec un acharnement étonnant. Nous avons par exemple...


Ciri, la camionneuse :

As long as I'm breathing, you've done your part.

"Boulot" est non seulement anachronique, mais bien trop populaire pour le personnage. Dans l'original, rien ne justifie l'emploi de ce mot.

Pourquoi ne pas écrire tout simplement :

"Tant que je respire, tu as fait ton travail.


Ciri, l'écrivaine du 18e siècle :

Well, Geralt says you're the most powerful mage he's ever known.

Plus ampoulé, tu meurs. Là encore, l'original, simple et direct, est complètement trahi.

En respectant le travail des scénaristes, on pourrait écrire :

Geralt pense qu'aucun mage n'est aussi puissant que vous.


Ciri, l'ado années 2010 :

No, it's all right.

Ciri n'est pas non plus désinvolte ou familière. Comme le "Non" est inutile, un simple "Ça ira" conviendrait très bien ici.


Ciri, l'aristocrate maniérée :

What's that?

"Qu'est-ce ?" est très emprunté et sonne complètement faux ici. Ciri est une princesse, mais elle n'est pas snob. Elle est spontanée et naturelle, c'est ce qui fait sa personnalité et la rend touchante.

"C'est quoi ?" serait trop familier, mais "Qu'est-ce que c'est ?" ne trahirait pas le personnage.


On notera au passage l'emploi hilarant du mot "ressenti", que le Robert date de... 1985, énième absurdité qui n'est jamais présente dans l'original, mais qu'on retrouve très souvent dans la traduction :

Vous saviez que Ciri avait fait psycho ?

Le temps de lecture

Autre problème grave, les temps de lecture des plateformes sont bien trop rapides. La norme française est de 14 ou 15 caractères par seconde, mais les plateformes autorisent 17 caractères par seconde. Au bout de 10 minutes, l'œil se fatigue, et bonne chance pour comprendre ce qui se dit, ce qui est encore plus gênant dans une série aussi complexe.

À 17 caractères par seconde, chaque sous-titre devrait être parfaitement clair, logique, exact et cohérent, ce qui est loin d'être le cas :

This fire fucker was after him.
A mage. I don't know who he was.

Le texte français, qui essaie de caser tous les mots anglais dans le même ordre, devient une bouillie incompréhensible.

Si on prend le temps de réfléchir, on constate qu'il est inutile de traduire "fucker" (on l'entend bien et il a été traduit un peu avant), ce qui permet d'avoir assez de place et de temps pour faire un sous-titre clair et compréhensible :

L'incendiaire le poursuivait.
C'est un mage, mais je ne le connais pas.


Arrêtons-nous là, mais on pourrait continuer longtemps, car ces problèmes sont omniprésents dans cette série, comme dans tant d'autres (par exemple, la série Apache est massacrée avec autant d'application). À ce niveau-là, parler de travail bâclé semble un euphémisme, puisque ces sous-titres ne parviennent même pas à accomplir le minimum absolu en traduction : non pas traduire les mots, mais transmettre le sens.

Et c’est bien cela qui met en échec les prétendus contrôles qualités vantés par les plateformes. Si on prend les mots un par un, rien n’est faux, mais le résultat ne veut rien dire, ou trahit l'original.

Nous voilà donc arrivés à notre question existentielle.

Pourquoi ?

Pourquoi investir autant de temps, d'argent et de talent dans la création d'œuvres remarquables pour ensuite démolir l'expérience de visionnage en économisant des miettes sur la traduction ? Pourquoi faire appel aux meilleurs acteurs, aux meilleurs scénaristes, réalisateurs, chefs opérateurs, monteurs, techniciens... et passer tout leur travail à la moulinette de traducteurs aussi mauvais ? Pourquoi ne pas choisir des traductrices et des traducteurs expérimentés et compétents ?

Car, en fin de compte, utiliser de mauvaises traductions, cela revient à faire The Witcher avec un dixième du budget. On aurait l’histoire, mais très simplifiée, des dialogues plats et purement factuels, des costumes ridicules, des décors en carton-pâte et des effets... pas du tout spéciaux.

C’est vraiment ça, la version du Witcher qu’on a envie de regarder ?

Non ? Alors, pourquoi est-ce la version qu’on est obligé d’avoir si on regarde les sous-titres français ?

Post modifié le 28/03.

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