Les sous-titres

Il faut savoir d’abord que c’est la pire des traductions. Le traducteur dépend du technicien qui fait la « réduction » à la visionneuse, prenant les temps et les distances pour mettre le sous-titre1. Ce texte italien que le traducteur reçoit est déjà coupé. Ce n’est pas le texte entier nécessaire pour le doublage.

Cette « réduction » dépend du rythme du dialogue. Certains films peuvent garder presque intégralement leur texte, lorsqu’ils sont « lents ». Beaucoup de films intellectuels ou poétiques entrent dans cette catégorie et sont donc les moins amputés. Le technicien ayant compté le nombre de photogrammes et le nombre de secondes disponibles pour permettre au spectateur de lire et d’enregistrer le texte, le traducteur est tenu de suivre la longueur exacte du texte italien.

Quand on pense que « ora » signifie « maintenant » et que « Cosa c’è » signifie « Qu’est-ce que c’est ? » ou « Qu’est-ce qu’il y a ? », on comprend la difficulté. On peut mettre « Qu’est-ce ? » mais quand c’est un loubard qui parle !

Certains réducteurs préfèrent un texte long durant tout le plan, d’autres préfèrent couper la phrase en deux. Souvent leur choix est dicté par des raisons pratiques : certains sont payés « à la ligne ».

Les films comiques sont extrêmement difficiles, avec des répliques qui se chevauchent fréquemment. Dans Ginger et Fred de Fellini, la publicité était souveraine. Que traduire ? Le panneau publicitaire derrière les acteurs, ou ce que disaient les acteurs ? Ou les deux, avec des caractères différents, et alors que devient l’image ?

Quant au spectateur, l’élite se prétend « frustrée » si elle n’a pas tout le texte, ça veut dire : je suis un intellectuel, j’ai de la culture, je lis aisément deux lignes en savourant quand même l’image.

Tandis que haleter à la poursuite du sous-titre, ça fait « plouc ».

Les gros problèmes qui reviennent tout le temps. Par exemple, doit-on écrire « ciao » ou « tchao » (comme « Tchin-tchin ») ? Doit-on sacrifier l’italien ? Quelle injustice de mettre « Place Venise » alors que l’on met « Trafalgar Square ».

Il faut surtout vérifier le dialogue italien parce que le réducteur peut couper le mot drôle ou percutant, ou fausser le sens. Dans les sous-titres de Mosca Addio2 de Mauro Bolognini, je lis une phrase qui me semble un peu trop lapidaire : « La révolution d’Octobre a été faite par des Juifs. » Je vais fouiller dans le dialogue et je trouve : « La révolution d’Octobre a été faite EN PARTIE par des Juifs. » Un rien.

Il faut exiger de voir le film

Ça pourrait sembler incroyable, mais les sous-titres d’un film se font fréquemment en deux jours, quelquefois moins ! Et le laboratoire dit qu’il n’a pas le temps de le montrer à la Moviola. Alors, que personne ne s’étonne du résultat !

Il y a des réalisateurs qui continuent à créer avec les sous-titres, et qui veulent qu’on mette en français quelque chose qui ne correspond pas à ce que dit la personne en italien. Parce que cette phrase en italien ne leur plaît plus, alors ils changent. On essaie de les convaincre qu’il y a quand même des gens qui comprennent un peu l’italien et qui diront :

– Mais alors quoi ?… Le traducteur s’est trompé ! L’acteur dit autre chose !

Fellini veut son image. Et alors, il tombe sur le travail du réducteur, réduisant à la limite de l’absurde, biffant, coupant, taillant en pièces…

Pour Intervista [1987], Fellini « surveillait » Caramazza, auteur de la « réduction », j’aurais voulu, moi, « surveiller » Fellini, et Jacqueline Risset, traductrice de Dante, me « surveillait », sans compter Mastroianni qui « surveille » souvent par la bande, l’air de rien, en ce qui concerne son texte.

Jacqueline et moi, nous avons toujours été d’accord. Malgré ça, Fellini est arrivé à couper une réplique que je n’ai pas eu le temps de remettre et que j’entends très bien à l’écran. C’est celle du producteur milanais qui, sur le plateau d’une Inde improbable, au milieu des bayadères et du Maharadjah, dit, méditatif et perplexe :

– Qui sait si l’Inde est comme ça ?

Je suppose que comme les sous-titres ont été refaits en France, à grand renfort de polémiques et de scandales, la réplique aura été remise. Et autre chose, hélas, « povero Fellini », souffleté par la mafia cinématographique de mon pays, mafia « cinéphile », et je te crois, ça rapporte. Bon. Passons.

Anecdote pour les sous-titres

Ce n’est pas une histoire personnelle, elle est arrivée à l’une de mes amies.

Un « marchand » lui téléphone et lui dit :

– Voilà, j’ai un film à sous-titrer, de l’anglais. J’ai le texte en anglais et il faut le mettre en français.

– C’est un film anglais ?

– Non, non, c’est un film italien, mais ça ne fait rien. Il a déjà été sous-titré mais je ne sais pas où retrouver une copie. C’est une urgence (comme d’habitude). Mais ça ne fait rien, c’est très compréhensible comme ça.

Mon amie demande de voir le film :

– Je ne peux pas traduire un film italien déjà traduit en anglais. Ce n’est pas sérieux. Je dois au moins le voir.

Il dit qu’il n’a pas le temps (naturellement) de lui montrer le film mais qu’il va essayer d’avoir le dialogue italien. Il est fâché de cette résistance :

– Je vous dis que c’est un vieux film qui a déjà été traduit !

Et elle, enfin, par curiosité :

– C’est quel film ?

– Oh, c’est Rome, ville ouverte

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