Certaines difficultés

Il y a beaucoup de films qui se déroulent dans les hôpitaux. Surtout en salle d’opération. Ils adorent ça. Certains poussent le sadisme jusqu’à faire parler les chirurgiens. Ils tendent la main vers une petite table couverte d’instruments et demandent des noms très compliqués ; et l’infirmière pêche au hasard un de ces outils et le tend au chirurgien. Que mettre ? J’essaie de tourner la difficulté avec un « Passez-moi ça » qui doit faire hurler de rire les toubibs. Ou un « s’il vous plaît »… mais quelquefois, je ne peux pas et j’appelle « ciseaux » tout ce qui ressemble à des tenailles, « bistouri » tout ce qui ressemble à des couteaux.

Je m’aperçois que les scénaristes italiens n’en savent pas plus que moi et je m’en tire comme eux, par une pirouette, ou même sans eux. Dans un scénario, c’est facile :

« L’opération commence. Le chirurgien saisit son bistouri et l’enfonce dans la chair… » ou bien « … prend la scie et entame la calotte crânienne… » (suite des plans à la disposition de la mise en scène).

Personne n’a vraiment envie de savoir la suite. J’utilise de plus en plus souvent cette formule et personne n’a encore protesté. J’ajoute plusieurs litres de sang qui coulent dans les bassines/cuvettes. La respiration oppressée de l’opéré… selon son humeur. Le bip-bip de cette ligne qu’on voit devenir plate à l’écran ou repartir en bondissant dans tous les navets.

Les opérations ne sont pas mes seules bêtes noires.

Je saute volontiers quelques lignes sur les courses cyclistes ou sur les champs de courses, sur les courts de tennis, sur les terrains de golf. Autrefois, je me torturais pour trouver les mots techniques d’une compétition. Maintenant, je me contente de donner des descriptions physiques des protagonistes qui « souffrent, transpirent, halètent »… et tout le monde est content. Il n’y a que pour le rugby et, à la rigueur, le foot où je suis un chef. Le bouclier de Brennus, c’est un peu mieux que la chasse à la palombe…

Ensuite, les poésies. Quand on trouve des extraits de Shakespeare (c’est fréquent et, surtout, ce sont presque toujours les mêmes), je les recopie de mes « Classiques Larousse ». Quand le poème est italien, je ne peux pas le traduire s’il y a déjà une traduction connue en français. Alors, je mets le titre avec : « Il dit le poème… » et, à la rigueur, quelques indications sur le contenu, ou sur le genre (le Ronsard italien !) pour que le comédien ne patauge pas trop avant d’avoir trouvé le texte en français et s’être informé.

C’est une façon de laisser, comme toujours – ignoblement – le travail aux autres. Mais c’est mieux que de faire bondir un comédien cultivé, on ne sait jamais, avec une traduction aussi audacieuse que risquée.

Quand on trouve des titres de films américains célèbres, traduits en italien de façon tout à fait différente (Gioventù bruciata pour La Fureur de vivre - Rebel Without a Cause (Nicholas Ray, 1955).), il faut à tout prix retrouver le titre américain original. Si on ne pense pas tout de suite au titre en français, c’est là une source d’ennuis.

Petite anecdote : L’Histoire du soldat

Un jour, on m’appelle pour me donner une pièce de théâtre à traduire en français. C’était à une époque où, n’ayant pas assez de scénarios, je traduisais n’importe quoi…

« Voilà, me dit-on – C’est La storia del soldato, de Ramuz. »

J’ai beau être analphabète, je fais remarquer que Ramuz l’a écrit en français. Et, en mon for intérieur, je pleure des larmes de douleur à l’idée de l’argent que je ne vais pas gagner, en disant qu’il vaut mieux reprendre le texte original.

« Non », me dit mon interlocuteur. « C’est X…, grand écrivain italien qui en a fait une adaptation. C’est sûrement très changé. »

Pas très convaincue tout de même, mais poussée par le besoin, j’accepte et même, je demande très cher, en pensant à tout le travail que ça allait me demander.

Je me mets aussitôt en chasse du texte de Ramuz. Dans tout Rome, pas une seule Histoire du soldat en français.

Je téléphone à Paris où on me la propose dans une édition des œuvres complètes de Ramuz, pour un prix fou, que je décline. Enfin, prête à me rendre chez l’écrivain italien, je fais une dernière tentative et je supplie une secrétaire du fonctionnaire RAI qui m’avait donné le travail de retrouver l’original du texte en français. Miracle. Il y avait une photocopie dont je m’empare.

Eh bien, je le jure, il n’y avait que deux lignes différentes. Je n’ai eu qu’à retaper dans la journée, en vérifiant au fur et à mesure. J’avais oublié que ce qu’on appelle pour un grand écrivain une « adaptation » n’est, pour nous autres minables, qu’une « traduction ». Et le grand écrivain aurait fait, en effet, une traduction remarquable.

Prise de scrupules – ça m’arrive –, j’ai hésité : devais-je le dire ? Mais ensuite, ma petite filouterie de surface et ma sagesse désabusée me l’ont déconseillé.

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