Les réalités d’un secteur en crise

Ce texte s’adresse à toute personne envisageant une formation au métier de traducteur dans le secteur audiovisuel.

Pour le grand public ou les étudiants en langue, l’adaptation audiovisuelle (doublage, sous-titrage, voice-over) apparaît souvent comme le domaine idéal où exercer le métier de traducteur.

La traduction pour le cinéma, la télévision, la VàD ou l’édition DVD/Blu-ray promet la possibilité de travailler sur des films, des documentaires ou des séries. Traduire pour le cinéma, c’est permettre au public français de découvrir le nouveau prodige coréen ou chinois, de vibrer au rythme des films de Spielberg ou de Scorsese, ou d’explorer les univers de Lynch, Kore-eda, Iñárritu ou Nolan. Traduire pour la télévision ou la VàD, c’est doubler ou sous-titrer des chefs-d’œuvre en noir et blanc, de passionnantes séries comme Game of Thrones, La casa de papel, The Good Place ou Mr. Robot, ou des dessins animés destinés à la jeunesse ; c’est aussi adapter des documentaires qui abordent une impressionnante variété de sujets.

Les perspectives d’avenir au sein de cette profession peuvent également sembler encourageantes. La mondialisation et l’essor du numérique permettent aux œuvres audiovisuelles de circuler de plus en plus librement ; quant aux modes et aux supports de diffusion, ils se sont multipliés (chaînes thématiques, services à la demande, vidéo sur téléphone mobile, etc.). Autant d’indices qui laissent à penser que ce secteur d’activité offre des débouchés.

En tant qu’association professionnelle, dont les membres connaissent bien leur secteur d’activité, l’ATAA se doit d’apporter une touche de réalisme à ce tableau idyllique.

Le statut d’auteur est le plus précaire qui soit

  • Les auteurs n'ont pas de contrat de travail.
  • Ils ne bénéficient d’aucune assurance chômage.
  • Ils n’ont droit ni aux congés payés, ni aux congés spectacles.
  • Leur retraite ne peut dépasser la moitié du plafond de la Sécurité sociale.

Après une période d’activité, un intermittent du spectacle ou une personne travaillant en CDD peuvent toucher une indemnité s’ils ne retrouvent pas tout de suite du travail. Un auteur aura beau travailler six mois ou un an d’affilée, le jour où il s’arrête, il n’a droit à rien : ni indemnités de chômage, ni congés payés, ni prime de précarité. Il est donc parfois difficile de refuser du travail impliquant des délais trop courts ou des tarifs non rentables. Mais il ne faut pas oublier que lorsqu’on a accepté ces mauvaises conditions de travail, le client n’a aucune raison d’en proposer de meilleures par la suite.

La prépondérance du relationnel

Comme tous les métiers liés à l’audiovisuel, l’adaptation est avant tout une affaire de relations et de réseaux. Bien sûr, la qualité du travail fourni est prise en compte par les clients, mais elle ne suffit pas à les fidéliser ni à progresser dans le métier. N’espérez pas vivre de ce métier si vous restez chez vous à attendre que les clients vous appellent. Pour percer, ou même se maintenir, il faut savoir se rappeler au souvenir des commanditaires, entreprendre les démarches qui permettront d’en trouver de nouveaux, savoir se mettre en valeur et surtout savoir se faire respecter, soi et son travail, face à des interlocuteurs qui n’accordent souvent que peu de valeur aux activités intellectuelles et littéraires. Si le démarchage, la négociation et les rapports de force vous rebutent, réfléchissez bien avant de vous lancer, vous n’êtes peut-être pas fait(e) pour ce métier.

La nature des programmes

On peut toujours imaginer qu’à force de persévérance, un auteur de doublage ou de sous-titrage qui aura fait preuve de son talent puisse un jour avoir la chance de travailler pour le cinéma. Mais auparavant, comme les traducteurs d’autres secteurs, il aura dû faire ses armes sur des textes nettement plus ingrats. En doublage, le soap ou l’animation sont aujourd’hui un passage obligé. En voice-over, c’est la télé-réalité qui domine et pour le sous-titrage, le travail pour les chaînes thématiques, les festivals ou le DVD et la VàD. Or ces programmes sont rarement faciles à traduire, mais ils sont trois, cinq ou dix fois moins bien payés que les œuvres plus intéressantes ou destinées à des diffuseurs plus haut de gamme. Et si l’on peut penser qu’il est normal de commencer à la dure, il ne faut pas oublier que de telles conditions de travail, couplées au caractère souvent répétitif de ces programmes, risquent d’émousser le talent du traducteur et de lui donner de mauvaises habitudes (recherches bâclées, relectures insuffisantes, style appauvri, etc.)

Après plusieurs années, il est parfois possible de travailler sur des séries, des films télédiffusés ou des documentaires plus évolués, mais seulement si l’on a su se constituer un réseau et surtout se faire respecter en n’acceptant pas n’importe quel travail à n’importe quel tarif. Aujourd’hui, les cinq ans d’études nécessaires à l’obtention d’un diplôme de traducteur audiovisuel n’offrent aucune garantie quant à la qualité des conditions de travail et au niveau de rémunération. Bien au contraire, les jeunes traducteurs se voient souvent obligés de travailler énormément, avec des délais trop courts et pour des tarifs proches du smic horaire.

Des rémunérations en chute libre

Une enquête de l’ATAA, réalisée auprès d’environ 150 traducteurs, établit que la rémunération au sous-titre a chuté d’environ 60 % entre le milieu des années 1980 et la fin des années 2000, alors que le Smic horaire a augmenté de 100 % au cours de la même période (passant de 4,30 euros en 1988 à 8,70 en 2008’). Et la tendance s’est accentuée ces dix dernières années. Jusqu’à récemment, le doublage destiné à la vidéo n’avait pas connu de véritable baisse. Mais notre enquête montre que la généralisation des logiciels de doublage virtuel depuis la fin des années 2000 a changé la donne. Et dans ce cas, la chute a été encore plus spectaculaire, puisqu’elle atteignait déjà – 40 % en deux ou trois ans.

Seul secteur où les traducteurs sont encore en contact avec les diffuseurs, le cinéma n’a pas subi de telles baisses – du moins dans le cas des distributeurs consciencieux. Mais les sorties en salle ne font vivre que 5 % de la profession.

Un marché déséquilibré

Comment en est-on arrivés là ? À la fin des années 1990’, l’explosion des chaînes du câble puis du DVD a créé de réels débouchés pour l’adaptation audiovisuelle, notamment pour le sous-titrage. Le développement de la VàD, plus récent, a amplifié cette tendance. Mais cette augmentation du volume s’est accompagnée d’un boom des formations universitaires à la traduction audiovisuelle avec pour résultat deux effets pervers : l’effondrement des rémunérations et, plus grave encore, la création d’un déséquilibre durable entre l’offre et la demande d’adaptation. Cette situation est la cause principale de la crise que traverse notre profession, l’augmentation du volume de programmes à traduire ayant attiré de nouveaux traducteurs qui se trouvent aujourd’hui trop nombreux, tandis que la quantité de travail rémunéré selon les normes professionnelles s’est considérablement réduite.

En effet, la quasi-totalité des catalogues de programmes anciens sont désormais traduits et il est fort peu probable que la généralisation de la VàD ou de la TNT apportera un supplément de travail, les nouveaux diffuseurs pouvant, grâce au numérique, réutiliser les fichiers de sous-titres existants, que ceux-ci soient bons ou mauvais. Quant aux versions doublées, du fait de leur prix de revient plus élevé que celui d’un sous-titrage, elles sont très rarement refaites. Selon les chiffres publiés par le CNC, "le marché du DVD/Blu-ray est en repli constant depuis les années 2000, avec un chiffre d’affaires en recul de 61 % entre 2009 et 2017 (baromètre annuel CNC-GFK)." La télévision par câble et par satellite est tout aussi exsangue, comme le prouvent les opérations de concentration dans ce secteur depuis une quinzaine d’années, qui ont contribué à leur tour à la baisse des tarifs.

Un tel déséquilibre entre l’offre et la demande permet aux sociétés de postproduction spécialisées dans le doublage/sous-titrage d’exercer une pression constante sur les tarifs et les délais. En effet, depuis le boom des années 1990, ces sociétés sont venues se placer entre les diffuseurs et les traducteurs, réduisant ces derniers à une simple ligne « adaptation » dans les budgets globaux qu’elles proposent à leurs clients. En tant que prestataires techniques, elles n’ont la plupart du temps aucune compétence en traduction et n’accordent qu’une considération de façade à une activité qu’elles cherchent à rentabiliser autant que le stockage ou la duplication de master, l’incrustation ou l’encodage. Et quand le client demande une baisse du tarif global, ce qui arrive régulièrement, ces sociétés de postproduction rognent sur le seul poste qui n’est pas protégé par un contrat de travail ou une convention collective : la traduction.

Ainsi, notre profession est probablement une des seules dont les tarifs ne suivent même pas l’inflation. Et lorsque le traducteur rappelle qu’il ne peut pas travailler à des tarifs cinq ou dix fois inférieurs au tarif professionnel, il n’est pas rare qu’il se voie cordialement informé que s’il n’est pas content, d’autres sont prêts à prendre sa place. À chacun de ne pas se laisser impressionner par ce genre de discours, qui en dit long sur l’importance que certaines sociétés accordent à la qualité.

Des acteurs mondiaux à la stratégie de rouleau compresseur

Autre réalité de notre métier, conséquence directe de la mondialisation : les grandes multinationales de la traduction ont fait main basse sur une partie du marché de l’adaptation audiovisuelle. La France a été relativement épargnée jusqu’ici grâce à la détermination des professionnels du secteur et parce que la qualité de la langue a encore une importance dans notre pays. Cependant, ces multinationales sont déjà parvenues à détruire le métier dans les pays scandinaves, dans certains pays d’Europe de l’Est, en Angleterre, aux États-Unis et en Amérique Latine, régions où l’adaptation n’est plus un métier mais un job pour étudiants. Et il n’y a aucune raison de penser que ces sociétés ne vont pas continuer à essayer de s’implanter en France. Elles le font d’ailleurs déjà, en se basant à Londres ou à Bruxelles pour employer des traducteurs français qu’elles attirent grâce à des programmes intéressants, notamment les séries, pour les faire travailler au dixième du tarif professionnel.

Le développement des géants de la VàD au cours des années 2010 s’inscrit dans une évolution comparable. Certes, le marché de la vidéo dématérialisée est dynamique (plus 10 % de recettes en France entre 2016 et 2017, chiffres CNC) et les plateformes font traduire des volumes importants de programmes alléchants (séries, notamment). Cependant, ces grands acteurs présents dans quantité de pays aux traditions très diverses en matière de traduction/adaptation audiovisuelle ont tendance là encore à tirer les tarifs vers le bas sur le marché français, dans le cadre d’une stratégie mondiale. La tentation de l’uberisation et du low-cost, ainsi que l’illusion du « tout-gratuit » dans le secteur numérique, conduisent à imposer des tarifs très bas à des traducteurs souvent inexpérimentés qui produisent des sous-titres de niveau non professionnel. En résumé : il faut à tout prix mettre des traductions à la disposition des utilisateurs, tant pis si elles sont très éloignées de la qualité à laquelle les spectateurs français sont habitués, et tant pis si elles trahissent complètement l’original. Quant aux prestataires de postproduction, désireux de se placer auprès de ces services de VOD qui représentent l’avenir de leurs débouchés, ils ne se battent pas toujours très vaillamment pour défendre la qualité des VOST et des VF, les conditions de travail de leurs auteurs, ou simplement le respect des œuvres originales.

Un équipement onéreux, devenu incontournable

L’apparition de logiciels de doublage ou de sous-titrage représente un autre défi pour notre profession. En effet, si ces logiciels apportent des fonctionnalités utiles, ils permettent aussi de faire basculer sur l’auteur la charge financière liée aux investissements nécessaires à l’accomplissement du travail. En effet, grâce aux logiciels, les entreprises n’ont plus besoin de mobiliser les locaux et les machines nécessaires aux travaux techniques de repérage/détection ou simulation/vérification. En d’autres termes, c’est désormais à l’auteur de payer s’il veut travailler, en achetant un ordinateur récent, performant, ainsi qu’un logiciel assorti souvent de mises à jour payantes, et en assumant toutes les dépenses liées à son activité. De plus, les entreprises incitant l’auteur à travailler sur logiciel sont très souvent celles qui paient aux tarifs les plus bas, alors que l’informatisation du travail leur permet de réaliser des économies énormes, notamment dans le doublage : plus de bandes-mères à acheter, plus de machines à entretenir, suppression du poste de calligraphe et, parfois, suppression du poste de détecteur, puisque l’auteur s’en charge.

Autre problème, d’ordre juridique : ces logiciels permettent aux clients d’imposer à l’auteur d’effectuer les tâches techniques, comme le repérage en sous-titrage ou la détection en doublage. Et ce dernier se voit bien souvent imposé une rémunération en droits d’auteur. Or les règles de Sécurité sociale précisent que ces tâches doivent être payées en salaires, mode de rémunération plus avantageux pour l’auteur, mais plus cher pour l’employeur.

Et le problème va plus loin, certaines sociétés n’hésitant pas à démarcher les universités pour faire la publicité de leur logiciel de doublage ou de sous-titrage auprès des étudiants. Ceux qui se laissent éblouir par les belles promesses qu’on leur fait achètent un logiciel, dépense imprudente qui les obligera à accepter des tarifs dérisoires dans l’espoir de rentabiliser leur investissement.

Le mirage des métiers de l’accessibilité

Le sous-titrage destiné aux personnes sourdes ou malentendantes offre-t-il de meilleurs débouchés ? L’obligation pour les chaînes réalisant plus de 2,5 % d’audience de faire sous-titrer leurs programmes pourrait le laisser penser. Une première précision s’impose : si ce métier est tout aussi utile que la traduction, il ne consiste pas à traduire des œuvres mais à adapter des programmes en langue française et des programmes étrangers déjà traduits en français. C’est pourquoi on parle souvent d’adaptation « du français vers le français ».

Quant aux débouchés que font miroiter certaines formations, ils se sont déjà considérablement réduits. En effet, confrontés à l’impossibilité de vivre de leur métier, de nombreux traducteurs audiovisuels se sont tournés vers le sous-titrage pour sourds et malentendants. Conséquence de l’augmentation du volume de travail : les tarifs ont déjà chuté de plus de 60 % en quelques années. De plus, la rémunération en droits d’auteur de ces prestations s’est généralisée (par opposition au salariat ou à l’intermittence), ce qui n’est guère intéressant pour les adaptateurs qui ne touchent aucun droit d’auteur sur les diffusions de leurs sous-titrages. ’’’’’

Enfin le développement de l’audiodescription, souvent présenté comme un autre vivier de débouchés, n’offre pas non plus des perspectives très réjouissantes. Là encore, ce n’est pas de la traduction. Il s’agit d’un métier à part entière (l’écriture d’un commentaire en voix off décrivant les scènes d’un film à l’intention du public déficient visuel), complètement distinct du doublage/voice-over, et qui nécessite donc une formation spécifique rarement assurée dans les faits par les Masters de traduction audiovisuelle. Par ailleurs, dans ce domaine aussi, les tarifs proposés aux audiodescripteurs ont connu une forte baisse sur les quinze dernières années (de l’ordre de 40%).

Conclusion

Cet exposé peut paraître pessimiste. L’ATAA le considère comme réaliste. Aujourd’hui, la traduction audiovisuelle est un secteur bouché, à l’avenir incertain, où il est très difficile de se faire une place. Malgré cela, les Masters d’adaptation audiovisuelle envoient chaque année plusieurs dizaines d’étudiants vers un secteur sinistré, qui fait vivre à grand peine quelques centaines de personnes. De plus, pour des raisons qui nous paraissent difficiles à comprendre, d’autres universités envisagent d’ouvrir des formations supplémentaires. Puisque nous vivons dans une économie de marché, il n’est pas inutile de rappeler une règle de base de l’économie : lorsque l’offre d’un bien ou d’un service dépasse la demande, le prix de ce bien ou de ce service se dévalue. L’effondrement de nos rémunérations en est la meilleure preuve.

Conséquence la plus grave de la saturation du secteur, on assiste depuis une vingtaine d’années à une division très nette de la profession. D’un côté, quelques traducteurs vivant bien de leur métier. De l’autre, une majorité de traducteurs victimes de la sous-traitance et qui travaillent à la chaîne pour les laboratoires de doublage/sous-titrage dont les tarifs baissent régulièrement. Ceux qui sont prêts à travailler vite et beaucoup peuvent encore vivre de leur métier, mais la chute continue des tarifs les entraîne souvent dans une spirale dangereuse, dont il est difficile de sortir. Et s’il peut être passionnant de se lancer à 25 ans dans la vie active en travaillant 50 heures par semaine, ça l’est nettement moins à 35, surtout quand la rémunération a diminué en valeur réelle.

Quant aux formations payantes, qu’elles concernent la traduction/adaptation ou le sous-titrage pour sourds et malentendants, l’ATAA tient à souligner qu’il est absurde de payer pour se former à une activité sans réels débouchés.

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