Bref, j'ai participé aux 35e Assises de la traduction littéraire

Le week-end dernier, j'ai pris le train, eu du retard sur le premier train (forcément), du retard sur le deuxième, paniqué, mais je suis arrivée à temps (ouf !) pour le repas. Je me suis perdue (je ne sais combien de fois) dans les ruelles d'Arles (pas grave, c'est trop mignon), j'ai couru d'un point A à un point B, mais pas tant que ça parce que c'est tout petit, le centre d'Arles !

Bref, j'ai participé aux 35e Assises de la traduction littéraire.

Plus sérieusement (et en moins bref)...

C'est avec en tête notre volonté actuelle de resserrer les liens entre associations et branches de la traduction que l'ATLF m'a invitée à participer à cette 35e édition des Assises de la Traduction, rendez-vous incontournable de la traduction littéraire en France, qui se déroule à Arles.

Ma table ronde était prévue pour le dimanche matin. Mais quitte à me déplacer jusqu'à la jolie ville d'Arles, autant profiter des nombreux ateliers et des conférences proposés !

Le vendredi soir, je suis arrivée juste à temps pour profiter du premier dîner, très informel et joyeux, avec de grandes tablées qui permettent de se mêler, se rencontrer, échanger. Je partage mon repas avec une femme qui a créé une association pour promouvoir la traduction, une dame qui s'est lancée dans la traduction après une carrière dans le professorat, tandis qu'à ma droite, deux traductrices littéraires échangent sur leurs projets actuels et profitent de ma présence pour satisfaire leur curiosité sur l'audiovisuel ! Amusant, stimulant, délicieux...

Le samedi matin, j'ai décidé de me réveiller (tout en douceur, me disais-je, naïve que je suis !) avec une « chronotraduction ». L'intitulé était très précis, et s'est révélé tout à fait fidèle à la réalité, et pourtant...

Intitulé :

« Où il sera question de traduire le plus vite possible, le plus loin possible, le plus élégamment possible, le moins n'importe comment possible, en se mettant autant que possible d'accord à plusieurs, et de récolter le plus de points possible auprès d'un jury désigné sur place. Entre course contre la montre et patinage artistique, la discipline vivra ses premières heures dans les salons feutrés de l'hôtel de l'Amphithéâtre, où les forces intellectuelles en présence seront aiguisées par cafés et croissants ».

On a effectivement eu des cafés et du croissant, et on a effectivement traduit, poursuivis par l'implacable dieu Chronos, représenté par la sadique petite cloche d'un jury totalement loufoque, décalé, souvent injuste et totalement en roue libre.

Par tablées de 3 à 5, parfois composées de gens qui se connaissaient, parfois créées comme pour la mienne par le hasard, nous nous sommes frottés à la traduction d'un texte tellement court que nous en sommes restés presque perplexes. Deux lignes, très poétiques, et un titre... presque rien, en somme, mais se mettre d'accord à trois ou quatre personnes, retranscrire les rimes, les jeux de mots, le tout en 4 minutes chrono ! Peu ont réussi à terminer l'exercice dans les temps, à notre grande surprise.

Pour le deuxième texte, on pensait avoir appris de nos premières erreurs et on s'est attelés, déjà beaucoup plus réveillés et frénétiques, à une douzaine de lignes d'un humour corrosif, d'une langue inventive, malicieuse, pas facile du tout. (Il s'agissait d'un extrait du livre Man vs Baby de Matt Coyne). On avait cette fois 10 minutes. On pensait avoir tout de même le temps de peaufiner, avec une telle générosité de Chronos, quelle erreur ! Notre équipe avait tout juste traduit (mais avec brio et beaucoup d'inventivité et de finesse) une petite moitié que retentissait le glas !

Un seul groupe a réussi à traduire le texte anglais, je crois me souvenir (le plus long de tous), un autre celui proposé en italien et plusieurs ont réussi l'exercice depuis une troisième langue, le... schtroumpf. Oui, oui, vous avez bien lu, le schtroumpf. Leur texte était nettement plus court, à notre décharge, et ils n'ont pas eu à se frotter, impuissants, à des mots tels que « payload » ou « torque », mais qu'on a ri à l'écoute de leurs interprétations aussi libres que folles des schtroumpferies vraiment schtroumpfantes de ce texte, performances saluées par tous et notées en conséquence par notre jury déchaîné.

Jury qui ne s'est pas privé de noter... sans la moindre cohérence, logique et harmonie, à grand renfort de bons points pour tentatives de corruption, mauvais points pour contestation (pourtant encouragée en début de séance), ou de disqualifications pour rature (triste sort de notre premier texte !). Vous l'aurez deviné, le maître-mot était bonne humeur, folie et frénésie. Car oui, pour traduire douze lignes truffées d'humour en 10 minutes, on doit oublier de rentrer dans les détails, de chercher la justesse du mot qui fait mouche, on doit coucher sur le papier, sans s'écharper, ce qui vient. Bref, un exercice totalement nouveau et très stimulant (que vous retrouverez probablement dans une de nos prochaines Journées de la traduction, tant l'exercice est jouissif !).

Le second atelier auquel je me suis inscrite traitait toujours de traduction, mais le ton n'était pas tout à fait le même ! Forcément, quand on s'attaque à l'introduction de To the Lighthouse, de Virginia Woolf, qu'elle n'a pas écrit en schtroumpf, mais dans une langue si riche et si complexe qu'elle nous fait douter de notre propre niveau d'anglais...

Certains avaient préparé en amont le texte, d'autres avaient joué le jeu, comme moi et découvraient sur le moment ce texte et toutes ses difficultés. L'exercice est passionnant. Plusieurs dizaines de traducteurs, aux expériences, styles et goûts différents qui débattent, s'interrogent, parfois même sur une simple virgule ou plutôt, absence de virgule.

On a peu avancé, pas assez à mon goût. On s'est un peu perdus en conjectures, on a trop pinaillé sur des détails, oublié que l'heure tournait, mais ce type d'exercice collégial est instructif et vraiment passionnant.

En début d'après-midi, je m'étais inscrite à une conférence à deux voix sur l'emploi des temps en français et en anglais. Ça m'a rappelé les cours de linguistique à la fac. C'était ardu, surtout en pleine digestion, mais les deux intervenantes connaissaient leur sujet et avaient minutieusement préparé leur dialogue à deux voix, émaillé d'exemples très parlants. De quoi remettre en question ce qu'on pensait savoir sur les temps et leurs usages.

Pour le reste du week-end, j'ai préféré profiter des ateliers quelque peu décalés proposés par les Assises. D'abord un jeu, samedi soir. Quatre des intervenants avaient été invités à s'essayer à l'exercice délicat du USJRA, ovni à mi-chemin entre la battle d'impro et le jeu de société. Ils ont tour à tour dû évoquer une œuvre d'art que leur inspirait un mot désigné au hasard par le lancer du palet. Drôles, surprenants, ou très émouvants, ces monologues tissés au fur et à mesure par différents artistes (comédiens, écrivains...) ont ravi une foule de spectateurs qui dispensait moult points bonus et acclamations.

Le dimanche matin, un atelier d'écriture créative, encore et toujours sur le thème du temps, a permis à une vingtaine de personnes de se lancer à corps perdu dans la rédaction puis la lecture de leurs textes, sous l'égide bienveillante et toujours positive et encourageante d'Isabelle Fruchart, comédienne.

A travers ces quelques ateliers, je n'ai fait qu'effleurer la foisonnante programmation de ces Assises, qui permettaient de se frotter à divers textes en espagnol, russe, italien... d'assister à des conférences quasi philosophiques et très techniques, d'écouter des traducteurs partager leurs expériences, de voir une remise de prix ou simplement de partager le plaisir de lire...

Mais j'en viens enfin à ce qui m'a amenée en premier lieu à Arles pour ce week-end riche en rencontres : la table-ronde de l'ATLF, intitulée « Toujours plus vite : traduction et logiques du succès ».

Aux côtés de Dominique Defert (traducteur des Dan Brown, entre autres), d'Anne Michel (directrice du département étranger des éditions Albin Michel), avec Corinna Gepner (traductrice et représentante de l'ATLF) à la modération, nous avons échangé nos points de vue et expériences, forcément très divers, sur le raccourcissement des délais et les évolutions dans nos méthodes de travail, parfois grâce à des améliorations techniques et souvent à cause de la paranoïa grandissante des commanditaires et de la course effrénée à la sortie des gros succès (qu'ils soient littéraires ou audiovisuels, d'ailleurs), au détriment de la qualité ou tout du moins des conditions de travail des différents acteurs de la chaîne. J'y ai davantage pris conscience de la pression qui pèse sur les épaules des commanditaires, car je pense que ce qui vaut pour l'édition vaut pour l'audiovisuel et j'ai écouté avec tout autant d'ahurissement que le public les conditions quasi inhumaines dans lesquelles travaillent les traducteurs des romans de Dan Brown (pour la faire courte : enfermés sous terre pendant un peu plus d'un mois, dans un pays étranger, sans Internet sur leur poste de travail, chaque pause répertoriée et minutée, rythme de travail de 33 pages par jour là où ils en font normalement 10... je laisse votre imagination travailler !).

Mais l'audiovisuel n'étant bien sûr pas en reste dans la course au toujours plus rapide, plus sécurisé et plus absurde, je les ai régalés d'une foule d'anecdotes, telles que les multiples versions sur un épisode, le travail d'imagination nécessaire pour adapter un personnage pas encore créé par ordinateur, le travail à l'aveugle sous les watermarks divers et variés allant du simple nom du studio au marquage de notre nom sur l'intégralité de l'image, sans oublier le fameux « écran noir » avec seulement les bouches apparentes...

J'en tire la conclusion que même s'il leur arrive de travailler sur des ouvrages encore en cours de rédaction ou de correction, pour les grosses sorties mondiales, l'audiovisuel semble remporter pour l'instant la palme de l'absurde, car ce qui reste pour eux anecdotique et somme toute exceptionnel est devenu pour nous déjà bien trop habituel et surtout, s'applique à des programmes loin des enjeux financiers des gros blockbusters ou des bestsellers de l'édition. Le tableau dépeint ne les as pas rassurés et l'avenir nous a paru à tous assez incertain, dans un tel contexte.

J'étais ravie de participer à cette table ronde très enrichissante, qui a fait salle comble et semblé amuser tout autant qu'instruire le public.

J'ai donc traduit (beaucoup), joué (un peu), paniqué devant un chrono (beaucoup trop !), écrit, gommé (ou raturé...), ri (merci !), échangé. Bref, j'ai participé aux Assises de la traduction littéraire... et je le conseille à tout le monde.

A noter : les Assises sont organisées par ATLAS, l'association pour la promotion de la traduction littéraire.

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