La question du « doublage » des films étrangers

Regards, n° 282, 8 juin 1939

Si le statut du cinéma protégeait véritablement le cinéma français, il aurait institué une taxe sur le doublage des films étrangers et ne se serait pas contenté sur ce point des promesses les plus lointaines et les plus vagues1.

Je ne suis pas comme la plupart de mes collègues en critique, ennemi du doublage en tant que procédé. Je le trouve aussi légitime que la traduction de n’importe quel chef-d’œuvre étranger. Certes, le meilleur doublage sera toujours inférieur à l’œuvre originale. Mais citez-moi une traduction – fût-elle de Baudelaire ou de Gérard de Nerval – qui ait réussi à conserver dans son originalité la valeur poétique des originaux allemands ou anglais. La meilleure traduction n’est qu’une transposition. Le meilleur doublage aussi.

Mais, objectent des esthètes de ciné-clubs, pourquoi ne projette-t-on pas partout les films américains dans leur langue originale, mais sous-titrés, comme cela se pratique depuis dix ans dans les salles des Champs-Élysées ?

C’est, chers esthètes de ciné-clubs, que le public des Champs-Élysées, dans sa majorité, sait (ou croit savoir) l’anglais et n’utilise les sous-titres que comme un guide-âne. Il n’en est pas de même dans les salles populaires, et là, les sous-titres du dialogue passent trop rapidement sous les yeux du public pour que celui-ci ait toujours le temps de les lire. Dans un pays où une classe sociale entend se réserver le monopole de la haute culture, il est de fait que la moyenne des travailleurs lit moins vite que la moyenne du public des Champs-Élysées. La nécessité de laisser assez longtemps les titres sur l’écran est une des raisons pour lesquelles, au temps du muet, le sous-titre en surimpression sur l’image ne se substitua pas aux autres procédés.

C’est, certes, une convention que de faire sortir des lèvres d’acteurs des mots que d’autres prononcent, mais n’est-ce pas aussi une convention que de faire entendre la musique d’un orchestre invisible au cours des scènes d’un film, que d’utiliser le procédé appelé « play-back », où les acteurs jouent en muet des scènes qu’ils ont enregistrées de façon sonore, de « mixer » des sons de telle façon que les bruits de l’écran n’aient pas de rapport avec les bruits qui existaient réellement au moment où la scène a été jouée, etc. On sait qu’à l’enregistrement, les bandes de son et d’image sont indépendantes, et que dans le montage de certaines scènes on superpose deux ou plusieurs bandes de sons prises indépendamment les unes des autres (bruit, parole, musique, etc.).

Quand le « doubleur » sait écrire un bon dialogue, qui n’est pas une traduction littérale, mais une transposition, quand il sait choisir un type de voix correspondant vraiment au type physique de l’acteur étranger, quand le travail est fait avec amour et talent, le résultat est souvent excellent, parfois remarquable. Et moi qui sais un peu d’anglais sans savoir toutes les finesses de l’argot américain, j’ai trouvé plus de plaisir à Soupe aux canards doublé qu’au Duck Soup, des frères Marx, en version originale2.

N’étant pas, par principes esthétiques, adversaire du doublage, je n’en serai que plus libre pour condamner ses conséquences sur le plan économique. Mais j’ai trop parlé de cette première question pour ne pas remettre la seconde à la semaine prochaine.

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