Dossier

de nouvelles formes de doublage à la télévision italienne

« Similsync » et « reversioning » : redéfinition des frontières du doublage ou nouveaux modèles économiques ?

Discovery Italia est actuellement le troisième groupe italien en termes d’audience sur la télévision hertzienne. En 2011, son chiffre d’affaires dépassait 46 millions d’euros (soit une augmentation de plus de 600 % par rapport à 2009) et à ce jour, en l’absence de données officielles, il est estimé à plus de 100 millions d’euros.

Selon les chiffres Auditel [le Médiamétrie italien], Real Time, la chaîne phare du groupe, était en tête des audiences de la télévision numérique terrestre au mois de mars 2013, tandis que la chaîne thématique D-Max la suivait à la cinquième place (après Rai YoYo, mais avant Rai Movie). Néanmoins, la part de marché des deux chaînes tourne autour des 3 %. Si cela semble peu, c’est en fait beaucoup, étant donné qu’elles diffusent toutes deux un seul type d’émissions, de la téléréalité, et qu’elles souhaitent à terme adjoindre durablement à l’écran principal un « second écran » : celui des smartphones et notebooks (le visionnage est désormais alternatif, voire simultané, à celui de la bonne vieille télévision, à laquelle manque cet élément interactif indispensable pour partager opinions et impressions en temps réel.)

Le temps réel, justement : Real Time, un patchwork à base de documentaires, de docu-fictions, de téléréalité, de tutoriels, etc. Pourvu que le spectacle ressemble le plus possible à la vraie vie, ou à ce que l’homme est capable de produire de plus approchant dans un studio de télé.

Il s’agit, en simplifiant un peu, d’émissions dans lesquelles une humanité variée est aux prises avec des problèmes quotidiens : comment réparer le dentier de grand-père, comment cuisiner un soufflé sans se ridiculiser… le tout avec la noble intention de rendre la vie du spectateur digne d’être retransmise et donc également d’être vécue.

Si ces émissions recherchent avant tout la « vérité », on s’attendrait à ce qu’elles soient doublées (choix d’une fiction totale et recréation d’une réalité) ou, au contraire, traitées en voice-over, technique classiquement utilisée pour les documentaires, où le personnage à l’écran, qui est par définition un non-acteur (c’est un spécialiste, un scientifique, le témoin d’un événement), parle dans sa propre langue, la voix du comédien de doublage étant en léger décalage. Le message est alors : attention, ce que vous entendez est la vraie voix du personnage et ce que vous voyez n’est pas de la fiction, c’est la réalité. Par conséquent, la voix du comédien est simplement une « voix de service » ; elle est là pour aider le public à comprendre sans qu’il ait besoin de sous-titres, auxquels il n’est pas habitué.

Or, si certaines émissions (comme Abito da sposa cercasi [Say Yes to the Dress]) sont traitées en voice-over, d’autres (comme Cucine da incubo [Ramsay's Kitchen Nightmares, diffusée en France sous le titre Cauchemar en cuisine]) sont doublées, mais pas en doublage synchrone.

Sur plus de 2 500 heures de versions italiennes produites par Discovery Italia pour ses sept chaînes (c’est leur nombre actuel), 70 % sont adaptés à l’aide de cette seconde technique, baptisée « similsync » (ou « doublage asynchrone »).

Un article à ce sujet paru en 2013 dans le Corriere della Sera1 m’a intrigué. Laura Carafoli (responsable des contenus de Discovery Italia) y déclarait : « Il s’agit d’une technique qui n’existait pas il y a quatre ans » et Michela Barbiero (directeur de Sky Uno) ajoutait : « Nous, plutôt que “doublage”, nous préférons appeler cela reversioning. » J’ai décidé d’approfondir le sujet.

En premier lieu, j’ai lu avec attention la convention collective nationale du doublage2, qui consacre au voice-over un article entier (l’article 8, pour être précis). Il commence ainsi : « Par documentaire non synchrone et téléréalité non synchrone, on entend une œuvre non cinématographique qui ne comprend aucune partie à doubler en synchronisme rythmique et labial. » En somme, il semblerait que la convention tienne compte de ce type de produit audiovisuel (depuis 2008). Alors, pourquoi crier à la nouveauté ? Et pourquoi les comédiens de doublage se plaignent-ils de ne pas savoir quel tarif appliquer à ces produits hybrides pour lesquels il faut quand même jouer, bien que ce ne soient pas des fictions ?

Parce qu’en effet, bien que les tarifs minima fixés pour l’adaptation tiennent compte du genre « téléréalité non synchrone », il n’y en a aucune trace dans les tableaux de tarifs pour les comédiens de doublage. S’il règne une certaine confusion, ce n’est donc pas sans raison.

Afin de tenter d’y voir un peu plus clair et de faire le point sur la situation, j’ai posé quelques questions à deux professionnels.

Le premier est Stefano Mondini, acteur, comédien de doublage, directeur artistique et président de l’ANAD (Association nationale des comédiens de doublage), mais aussi narrateur habituel de La grande storia [La Grande Histoire], diffusée sur la Rai.

J’ai également interviewé Mario Paolinelli, dialoguiste, vice-président de l’AIDAC (Association italienne des dialoguistes et adaptateurs de l’audiovisuel) et auteur d’une série d’articles et d’ouvrages qui ébauchent, si l’on peut dire, une « esthétique du doublage ».

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