À propos des versions doublées en français de New York-Miami

Le 12 septembre 1934, la version doublée de New York-Miami sortait sur les écrans français. Le film avait connu un grand succès public et critique en version sous-titrée au printemps de la même année à Paris. D’après la presse spécialisée de l’époque, la sortie du film en version doublée était promise à une égale réussite. Ainsi pouvait-on lire ces quelques lignes dans les comptes rendus critiques parus dans La Cinématographie française peu après l’événement : « Et le charme, la fraîcheur de ce film ne sont pas éteints par le doublage, qui, au contraire, permet de rendre plus perceptible encore cette comédie pleine d’esprit1. » Sans doute devait-on ce compliment à la qualité du travail de Simone Madelin, la directrice artistique, ainsi qu’à la prestation des comédiens principaux, Roger Maxime et Madeleine Larsay. Cette version semble, hélas, aujourd’hui disparue ou, du moins, inaccessible. Un nouveau doublage fut réalisé par la société GK Garcia Ktorza quelques décennies plus tard2.

Ce redoublage ne présente cependant pas autant de qualités que le laissait entendre La Cinématographie française à propos de la première version. On remarque par exemple un fort déséquilibre quant à la qualité de la traduction des dialogues. Ainsi, lors de la dispute entre Peter et son patron, le style oral est bien rendu, notamment grâce au tutoiement et au maintien du registre familier, mais l’usage d’expressions parfois inadéquates par rapport au parler de l’époque trahit le ton du redoublage contemporain. De même, si l’ironie du dialogue a été correctement conservée (quoique le jeu de mot sur « free verse » ait été évincé), l’ajout parfois inutile de certains mots reflète une tendance typique au « remplissage » caractéristique du doublage, conditionné par la contrainte du synchronisme labial. Le génie des dialogues originaux perd ainsi de son éclat et le ton sarcastique des personnages s’en trouve le plus souvent affadi, de sorte que le rythme de cette version doublée s’essouffle vite par rapport au film original.

Toutefois, ce doublage est mieux réussi en ce qui concerne les caractéristiques vocales des comédiens. Malgré quelques passages surjoués3, les voix s’accordent généralement bien à l’atmosphère du film : la voix française d’Ellie possède les intonations propres au caractère capricieux et immature de la jeune fille, et est, en outre, assez fidèle à la voix de Claudette Colbert. De même, la voix assurée de Peter, assez proche du timbre grave et posé de Clark Gable, apparaît en adéquation avec l’attitude générale de l’acteur. La texture de la voix choisie pour Shapeley s’associe efficacement à la personnalité graveleuse du personnage. En revanche, le jeu des comédiens de doublage manque parfois de naturel et semble, dans certains cas, trop « lisse » ou « plat », conférant une sonorité un peu artificielle à l’ensemble du film. On ne ressent, de ce fait, plus vraiment cette « folie » si représentative des comédies débridées de l’époque.

À l’instar de la version allemande de 1979, le traitement des atmosphères et des voix s’avère plus problématique. Ayant été majoritairement réenregistrée4, la bande-son présente un fort décalage avec les images du film original. Ainsi, l’aspect très « propre » des nouvelles voix et du bruitage ne correspond guère à la texture sonore d’un film des années 1930. Ce contraste est aisément perceptible lors de l’intermède chanté par exemple. Durant cette séquence, la chanson est entendue en version originale, mais les interventions parlées des musiciens ont été doublées. On assiste à un véritable glissement d’une perspective sonore à l’autre, produisant non seulement un écart vocal conséquent, mais aussi un décalage dans l’ambiance générale. Le spectateur a l’impression que la voix française se superpose à la bande-son originale, ce qui renforce le côté « décalcomanie » du doublage.

Par ailleurs, l’association de l’image originale et d’un son plus récent est parfois tout simplement discordante. La marche nuptiale de Wagner initialement choisie pour la scène du mariage d’Ellie et de King Westley est remplacée par une pièce symphonique qui ne correspond pas du tout à l’ambiance et au rythme de la scène. Comble du paradoxe : les chœurs d’enfants n’entonnent aucun chant malgré leurs bouches ouvertes ! Cette musique de mariage apparaît en totale contradiction avec l’image, et affecte grandement l’intégrité esthétique du film5.

La seconde version doublée de New York-Miami ne semble pas, globalement, à la hauteur de la première, si l’on en croit les témoignages de 1934. Il est bien sûr difficile pour un comédien de doublage de se représenter les conditions et l’atmosphère de tournage afin de donner le ton « juste » au moment de l’enregistrement, notamment lorsque le film à doubler est vieux de plus d’un demi-siècle, mais cela ne justifie en rien la pratique du redoublage. Souvent effectuée dans un but de rentabilité commerciale, celle-ci détruit dans bien des cas l’homogénéité cinématographique des films originaux. Retrouver la première version doublée, si elle existe toujours, pourrait réserver d’agréables surprises.

L'auteur

Betty Serandour est titulaire d’un Master en études anglophones et suit actuellement un Master en études cinématographiques à l’Université Rennes 2 et à l’Université d’Exeter en Angleterre. Elle est l’auteur d’un mémoire consacré à la traduction de l’humour dans les versions sous-titrées et doublées de trois screwball comedies américaines.

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