Entretien avec Charles Vannier, directeur technique chez Wild Bunch

La traduction et l’adaptation audiovisuelles sont des maillons d’une chaîne, celle qui permet de transposer une œuvre cinématographique ou audiovisuelle dans une autre langue. Il s’agit parfois d’un processus de longue haleine, qui fait intervenir différents métiers. L’Écran traduit souhaite aussi donner la parole à ces autres professionnels qui interviennent en amont ou en aval du travail des auteurs de sous-titrage, de doublage ou de voice-over. Rencontre avec Charles Vannier, directeur technique chez le distributeur Wild Bunch, à Paris.

Quel est votre parcours ?

Ce sont les aléas professionnels qui m’ont conduit à faire ce métier. Je viens au départ d’une formation d’ingénieur télécoms, qui n’a donc vraiment rien à voir, si ce n’est qu’elle m’a donné une certaine rigueur. Pour diverses raisons, j’ai voulu changer de voie à la sortie de l’école d’ingénieurs, et j’ai donc fait un troisième cycle pour travailler dans le cinéma, dans la distribution.

J’ai commencé chez Pan-Européenne en 2004, comme stagiaire marketing. À l’époque, ils ne sortaient que trois ou quatre films par an, si bien qu’une même personne était responsable du marketing et de la technique. C’est comme ça que j’ai commencé à m’occuper un peu de sous-titrage et de doublage. Puis Pan-Européenne a été rachetée par Wild Bunch, le nombre de films étrangers a augmenté, et j’ai appris sur le tas.

Pour ce qui est de la compétence linguistique, j’avais un bon niveau d’anglais, notamment grâce à quelques séjours aux États-Unis. Travailler sur les subtilités linguistiques, c’était quelque chose qui m’intéressait déjà auparavant. En outre, quand on s’occupe du sous-titrage et du doublage, on travaille vraiment sur le film, avec des auteurs, ça relève de la création artistique. Je trouve ça très intéressant, de réfléchir au sens des scènes et des dialogues.

En quoi consiste votre métier ?

Chez Wild Bunch, contrairement peut-être à d’autres sociétés comme les majors américaines, on a une tradition de « petite boîte » un peu artisanale. Outre mon poste de directeur technique, je fais aussi un peu de marketing. La direction technique est plus légère en ce qui concerne les films français que distribue Wild Bunch, parce qu’il y a généralement des directeurs de postproduction qui suivent tout le processus. Sur les films étrangers, il y a plus de choses à superviser : il faut commander au vendeur tout le matériel nécessaire à la sortie française, vérifier sa conformité et s’assurer qu’on pourra bien l’utiliser pour l’exploitation en France. Et une fois ce matériel récupéré, il faut l’adapter pour la sortie française. Ça va du sous-titrage et du doublage, qui vous intéressent plus directement, à la réalisation d’inserts, la fabrication des DCP1 ou de la copie en 35 millimètres (même si ça ne se fait plus beaucoup aujourd’hui), en passant par la fabrication des masters vidéo pour faire de courts extraits, le montage de la bande-annonce, etc. C’est peut-être spécifique à Wild Bunch, mais je m’occupe aussi de la réalisation du matériel promotionnel : l’impression des affiches et la fabrication des produits physiques qui accompagnent la sortie en salles et qui servent la promotion.

Cela représente combien de films étrangers distribués par an ?

En 2012 – et ce sera vraisemblablement pareil l’an prochain – Wild Bunch a sorti vingt films au total, français et étrangers confondus, alors qu’on atteignait une moyenne de douze ou treize les années précédentes. En proportion, ça représente à peu près 50 % de films étrangers et 50 % de films français, soit une grosse dizaine de films étrangers cette année, contre cinq ou six les années précédentes.

Ce sont des films produits en France, parfois par Wild Bunch, mais pas toujours. Par ailleurs, je compte par exemple dans les films français le dernier film de Roman Polanski, Carnage (2011), qui comporte des sous-titres, car c’est une production française, bien qu’elle soit en langue étrangère. Mais dans ce cas-là, je n’ai pas à superviser le sous-titrage. C’est la société de production qui s’en occupe et qui nous livre des éléments d’exploitation clés en main. 
 

Sous-titrage ou doublage : un choix délicat

Quelle est la proportion de films à la fois doublés et sous-titrés, parmi les films étrangers ?

C’est spécifique à chaque distributeur, et les majors qui sortent des blockbusters font systématiquement doubler leurs films. Chez Wild Bunch, un tiers ou un quart seulement des films en langue étrangère bénéficient d’un doublage en plus du sous-titrage. Ces derniers mois, Lady Vegas (Lay the Favorite, Stephen Frears, 2012) est sorti en salles uniquement en version sous-titrée, de même que 360 (Fernando Meirelles, 2012) et le petit film fantastique espagnol Eva (Kike Maíllo, 2011).

Le choix de réaliser ou non un doublage se fait-il au niveau de Wild Bunch ou dans un dialogue avec les exploitants ?

C’est une décision qui relève de Wild Bunch, mais qui est généralement prise aussi en fonction des premiers retours des exploitants, du potentiel qu’on sent dans le film, du budget qu’on peut se permettre de dépenser (car un doublage, ça a un coût) et du public qu’on vise. Si on se fixe un certain seuil d’entrées à dépasser, cela signifie qu’il va falloir toucher des cinémas de province qui demandent des versions doublées et cibler un public qui n’est pas habitué à voir de la VOST.

La question s’est posée pour Eva, le film fantastique. C’est un film de genre, mais un film de genre « d’auteur ». Au départ, on pensait le doubler et essayer de le distribuer assez largement, pensant que le public ne le verrait pas comme un « petit film espagnol de genre », parce qu’il est de bonne facture. Mais en fin de compte, c’est l’avis des exploitants qui l’a emporté parce que le film n’avait pas un positionnement clair. Les salles d’art et d’essai nous disaient : « C’est un film de science-fiction, un film de genre, c’est pour les grands réseaux. » Tandis que les grands réseaux nous disaient : « C’est un petit film espagnol, ce n’est pas pour nous, c’est pour l’art et essai. » Après quelques hésitations, on s’en est tenus à une distribution art et essai sans tenter une ouverture vers un autre public avec une VF, parce qu’on a perçu un manque d’envie de la part des grands réseaux. Le projet initial n’a donc pas pu être mené à bien.

Lady Vegas, distribué uniquement en VOST, est pourtant un film aux multiples vedettes.

On a longtemps débattu pour savoir si on devait le doubler. Traditionnellement, les films de Stephen Frears ne sortent qu’en VOST : pour Tamara Drewe (Stephen Frears, 2010), par exemple, le doublage était exclusivement destiné aux diffusions télévisées et au DVD. Comme il y avait effectivement de grosses vedettes comme Bruce Willis dans Lady Vegas, la question s’est posée. Mais quand on dit qu’on fait un doublage, on n’a rien dit ! Si on décide de faire un doublage, c’est qu’on cible un public plus large et un peu différent de celui qui est visé traditionnellement par les films de Stephen Frears en VOST. D’un seul coup, il faut changer toute la stratégie de sortie ou, en tout cas, l’adapter. En plus du doublage, il faut prévoir un marketing spécifique, viser d’autres salles, essayer de communiquer auprès d’autres publics. En l’occurrence, il ne nous a pas paru opportun d’enclencher tous ces investissements pour ce film.

Arrive-t-il que le choix se fasse aussi en fonction de la volonté d’un réalisateur, qui ne souhaiterait pas que ses films soient doublés, par exemple ?

Je n’ai pas souvent rencontré ce cas… Pour 360, Fernando Meirelles avait donné des consignes qui semblaient logiques concernant le doublage destiné à la télévision et au DVD : il fallait doubler l’anglais, qui est la langue principale du film, mais pour le reste, l’histoire repose sur des incompréhensions entre les langues, donc il n’était pas question de doubler tous les personnages. Certains réalisateurs font attention à cela, dans le cas d’un doublage.

Chronologiquement, à quel moment se prend la décision : prenez-vous contact avec les exploitants quand vous élaborez la stratégie marketing du film ?

Quand on achète le film – que ce soit « sur papier » ou une fois le film fini – on a déjà une petite idée de son potentiel et de ce qu’on va pouvoir faire. Puis on consulte les grands réseaux de salles : UGC, Kinepolis, Pathé Gaumont, ainsi que MK2, qui est important dans la carrière des films positionnés entre films d’auteur et films grand public, car c’est son créneau à Paris. En montrant le film à ces quatre réseaux, on a déjà un premier retour.

Après, on affine en fonction de l’avis des exploitants et des premières critiques presse. Soit on se rend compte qu’il faut rabattre un peu la voilure et prévoir une sortie plus modeste parce que l’enthousiasme qu’on espérait n’est pas au rendez-vous, soit le film « prend » bien, on voit qu’il y a une attente, et on y va. Si ça prend aussi bien auprès des exploitants et de la presse, il y a des chances pour que ça prenne également auprès d’un grand nombre de spectateurs. On va donc se donner les moyens de toucher un plus large public, c’est-à-dire qu’on va faire en sorte qu’il soit au courant de la sortie du film.

La réception préalable du film à l’étranger joue-t-elle un rôle ? Eva est sorti en Espagne sans grand succès, par exemple.

Il est certain que les résultats d’un film sur son territoire national sont un bon indicateur. Si Lady Vegas fait peu d’entrées en Angleterre ou si Eva ne marche pas en Espagne, évidemment, ce n’est jamais bon signe. Pour autant, ça ne nous fera pas changer drastiquement de stratégie. Il arrive que des films qui ne marchent pas dans leur pays marchent très bien en France. Mais ça incite à la prudence, c’est un signal peu engageant qui nous rend plus précautionneux.

Il reste qu’il y a des contre-exemples : les films de James Gray, qui font peu d’entrées aux États-Unis, sont distribués en France par Wild Bunch et sont de gros succès. Il en va de même pour certains petits films pointus comme Les Citronniers (Etz limon, Eran Riklis, 2008), qui sont très peu vus dans leur pays d’origine.

Est-ce que l’aspect artistique entre aussi en ligne de compte dans le choix de faire doubler ou sous-titrer un film ? Wild Bunch a par exemple distribué Le Discours d’un roi (The King’s Speech, Tom Hooper, 2010), un film qui repose beaucoup sur la prestation d’un comédien et sur sa diction. Est-ce que la question s’est posée ? Ou est-ce que le doublage s’imposait parce que c’était un film attendu ?

Il y a toujours des contre-exemples, comme Une séparation (Jodāei-ye Nāder az Simin, Asghar Farhadi, 2011) qui a réussi à faire un million d’entrées en VOST, mais il est généralement très difficile de dépasser un certain seuil d’entrées avec le seul sous-titrage. Tout simplement parce que beaucoup de salles ne programment pas de films sous-titrés, et que le seul moyen de passer dans certaines salles et de toucher un certain public, c’est d’avoir une version doublée. Pour Le Discours d’un roi, on avait des attentes fortes et on pensait que ça pouvait marcher. Automatiquement, il fallait une version doublée. La question, dans ce cas de figure, est plutôt de savoir comment faire une bonne VF qui ne dénature pas le film, même si elle n’a pas la prétention d’être au niveau du jeu de Colin Firth dans la VO. Mais il faut au moins que le spectateur qui regarde le film en version doublée voie quelque chose de presque aussi bien, qu’il n’y ait pas de déperdition de qualité.

Traductions relais et « anglais de festival »

Comment faites-vous lorsqu’il y a plusieurs langues, éventuellement rares, dans le film de départ ? L’adaptation est-elle réalisée à partir des dialogues originaux ou des sous-titres anglais ?

C’est parfois compliqué. Souvent, quand on reçoit la spotting-list2 de la production américaine et qu’il s’agit d’un film dans lequel il y a d’autres langues que l’anglais, il n’y a que les sous-titres anglais, pas les dialogues originaux. Ces sous-titres sont censés servir de base pour la traduction, parce que le réalisateur les a validés et a toute confiance en eux. Il y a sans doute des distributeurs qui se contentent de cela, mais dans la mesure du possible, chez Wild Bunch, nous essayons d’obtenir un relevé des dialogues originaux, ce qui n’est pas toujours facile.

Récemment, nous avons distribué Safe (Boaz Yakin, 2012), une histoire de guerre des gangs qui se passe dans les milieux new-yorkais de la pègre, avec les mafias chinoise et russe. L’anglais est la langue principale, mais il y a aussi des dialogues en chinois et en russe, pour lesquels nous n’avions pas de relevé.

Dans ces cas-là, je demande des noms de traducteurs de ces langues aux adaptateurs avec lesquels je travaille, je fais appel à l’ATAA ou j’interroge mes interlocuteurs dans les laboratoires de postproduction.

Si on parvient à obtenir un relevé des dialogues originaux, généralement, je laisse l’adaptateur principal choisir un confrère avec qui il s’entend bien, je ne lui impose pas un nom. D’autant qu’il faut qu’il puisse disposer de cette traduction au moment où il en a besoin et que ça cadre avec son propre timing.

Si ce n’est pas possible, il faut au moins montrer les passages à un traducteur de la langue concernée et lui demander si les sous-titres élaborés à partir de l’anglais sont fidèles au sens des dialogues. Pour Safe ou pour 360, par exemple, on a ainsi corrigé plusieurs sous-titres.

On a l’impression qu’à l’étranger, les sous-titrages sont parfois réalisés d’une façon un peu désinvolte. Selon vous, est-on plus attentif à la qualité de la traduction en France ?

Soyons chauvins deux minutes : il y a en France l’une des plus grandes diversités de films et une diffusion très large de copies sous-titrées. Dans beaucoup de pays, il n’y a que quelques cinémas d’art et essai pointus, pour les cinéphiles purs et durs, qui diffusent de la VOST et la quasi-totalité des films sont doublés. Ce n’est pas nécessairement fait par-dessus la jambe, mais il me semble qu’il n’y a pas la même rigueur et en tout cas, pas le même enjeu en ce qui concerne la qualité du sous-titrage. Nous-mêmes, nous récupérons parfois des sous-titres dont la qualité est à pleurer.

Justement, imaginons que vous repériez un film à Cannes qui est présenté avec des sous-titres français d’une qualité tellement mauvaise qu’il faudra les refaire. Est-ce que ça arrive ?

Cette année, deux films qu’on a achetés à la Quinzaine des réalisateurs posaient justement ce problème. Ils étaient tous les deux sous-titrés en français, puisque c’est obligatoire à Cannes.

Pour le premier, Room 237 (Rodney Ascher, 2012), c’était particulièrement catastrophique, ni fait ni à faire. Ça ressemblait à ce que produit Google Traduction : à la place du terme « fondu enchaîné », par exemple, les sous-titres indiquaient « dissolve », sans traduction3. Tout était à l’avenant et il manquait un sous-titre sur deux. Ce sous-titrage a dû être fait par quelqu’un qui n’était francophone que de très loin et qui ne maîtrisait pas du tout les termes techniques. Comme tout le film a été fait dans un garage, on peut imaginer qu’il en va de même pour le sous-titrage. D’une manière générale, le français était approximatif. Le repérage, n’en parlons pas, et la lisibilité n’était pas non plus respectée.

Le second long métrage qu’a acheté Wild Bunch était No (Pablo Larraín, 2012), un film avec Gael García Bernal qui parle du renversement d’Augusto Pinochet au Chili. Le vendeur international voulait faire réaliser le sous-titrage en France avant Cannes, mais faute de budget, le sous-titrage a été fait au Chili. En raison des délais, par ailleurs, la copie du film risquait de ne pas pouvoir être rapatriée au bon moment. Avant la présentation à Cannes, il est tout de même passé entre les mains d’un laboratoire de sous-titrage, qui a retouché la partie technique du repérage, mais pas le texte. Résultat, ce sous-titrage ne convenait pas du tout : il y avait beaucoup d’expressions datées, les niveaux de langue ne correspondaient pas du tout à la VO… Dans ce cas précis, il ne s’agissait pas de mauvais français, mais d’une absence d’adaptation. La traduction était très littéraire.

Ce problème, nous l’avions déjà rencontré avec un autre film que nous avions acheté dans un festival avant de le présenter à Cannes : Buenos Aires 1977 (Crónica de una fuga, Adrián Caetano, 2006), un film argentin sur la dictature militaire. L’équipe de production avait elle-même fait le sous-titrage français. Le film raconte le destin de jeunes gens prisonniers dans un camp secret de l’armée. Dans les sous-titres, les geôliers vouvoyaient les détenus et toutes les vulgarités étaient gommées. Le traducteur avait été recommandé par l’ambassade de France en Argentine, mais il était fait pour les belles lettres, pas pour le cinéma. Le sous-titrage a été refait, et on se rend bien compte maintenant que les dialogues sont au contraire très vulgaires. Dans le premier sous-titrage, au cours d’une scène de torture, un prisonnier criait au geôlier : « Ne vous moquez pas de moi ! ». Dans la nouvelle version, ça donne « Te fous pas de ma gueule, connard »…

Parfois, l’adaptateur part aussi d’une traduction « relais » en anglais.

Quel que soit le pays, le vendeur propose généralement des sous-titres anglais, souvent fournis par la production. Une partie de Wild Bunch est basée à Londres : il s’agit du servicing, c’est-à-dire la récupération et la redistribution du matériel aux distributeurs étrangers. Quand on nous fournit ce type de sous-titres et qu’on sait qu’ils vont servir (soit pour une diffusion dans un festival, soit parce que le film passera obligatoirement par un distributeur anglophone), on demande à l’équipe de Londres de relire les sous-titres pour s’assurer de leur qualité.

Il arrive d’ailleurs que le sous-titrage anglais présenté à un vendeur ne soit pas le même que le sous-titrage anglais destiné à un distributeur pour un pays anglophone. Pour le vendeur, on se contente souvent d’un sous-titrage en simple English, ce que j’appellerais de « l’anglais de festival », qui pourra être facilement compris par les acheteurs qui ne sont pas de langue anglaise. Ces sous-titres-là gomment certaines subtilités qui seraient présentes dans un sous-titrage en bon anglais, mais qui pourraient échapper à un locuteur d’une autre langue, qui n’est pas anglophone de naissance. Ce n’est pas du nivellement par le bas, c’est une façon de rendre le film accessible au public, ce qui est tout de même l’enjeu de l’adaptation. L’erreur serait bien sûr de reprendre aveuglément ces sous-titres-là pour une diffusion en salles dans les pays de langue anglaise. Il arrive que ce sous-titrage en simple English convienne à la fois pour les vendeurs et la diffusion en salles, lorsque les dialogues ne sont pas particulièrement travaillés. Cependant, il faut souvent refaire les sous-titres différemment.

D’autres contraintes peuvent entrer en ligne de compte, par exemple le fait que certaines langues sont particulièrement rares. Il y a également des contraintes techniques, des contraintes de coût et surtout de temps lorsque les films sont destinés à être projetés dans des festivals. Il est parfois difficile de trouver un traducteur de langue rare au pied levé lorsque les éléments nécessaires à l’adaptation arrivent à la dernière minute.

Le choix des adaptateurs

Justement, dans le cas d’un film dans une langue rare, comment trouvez-vous et choisissez-vous vos adaptateurs ?

À ce jour, je n’ai eu à m’occuper que de films dont la langue majoritaire était l’anglais, ou alors une langue européenne courante pour laquelle on trouve sans difficulté des adaptateurs. Seule exception : un film en persan de Samira Makhmalbaf (L’Enfant-cheval [Asbe du-pa], 2008). Pour le persan, on sait qu’on peut faire appel à Massoumeh Lahidji, qui s’impose avec une certaine évidence4, dès lors qu’elle est disponible.

Prochainement, Wild Bunch va distribuer le nouveau film de Wong Kar-wai (The Grandmasters), et je me suis donc renseigné en vue de trouver un traducteur/adaptateur depuis le chinois. Comme souvent, j’ai fait appel aux adaptateurs avec lesquels j’ai l’habitude de travailler pour leur demander de me conseiller quelqu’un. Je commence à bien connaître certains adaptateurs : si je sais qu’Untel travaille bien, qu’on a la même vision de ce qu’est un bon sous-titrage, je pourrai lui faire confiance pour me conseiller un confrère qui correspondra aux critères que je recherche. Je me suis également renseigné auprès d’autres directeurs techniques, notamment chez Wild Side5, qui fait partie du même groupe que Wild Bunch et qui a distribué et réédité beaucoup de films asiatiques. On m’a recommandé des professionnels pour le mandarin, le cantonais, etc.

À mes débuts, je demandais souvent conseil à Brigitte Dutray, la directrice technique chez Wild Side, qui m’a toujours épaulé. Les laboratoires de postproduction peuvent eux aussi recommander une personne avec laquelle ils ont l’habitude de travailler quand ils ont à traiter des films dans telle ou telle langue exotique ou rare. J’ignore comment font mes homologues dans les autres sociétés de distribution quand ils se retrouvent confrontés à des langues moins connues, mais ça me semble une démarche logique : se renseigner auprès de gens qui ont pu avoir d’autres films de ce genre-là, dans cette langue-là, ou auprès du labo qui peut parfois donner des conseils.

D’une manière plus générale, comment choisissez-vous vos adaptateurs ? Y a-t-il une spécialisation : Untel est doué pour les jeux de mots, Untel connaît sur le bout des doigts un domaine particulier, etc. ?

Il y a une forme de spécialisation, qui tient parfois aux centres d’intérêt de la personne. Pour les films de genre, j’ai tendance à travailler avec Sylvestre Meininger, parce que c’est un fan de ce type de films. Je sais qu’il va saisir toutes les références culturelles et qu’il fera les recherches nécessaires parce que ça l’intéresse.

Pour Le Discours d’un roi et Deux sœurs pour un roi (The Other Boleyn Girl, Justin Chadwick, 2008), j’ai travaillé avec un duo d’adaptatrices, Marianne Savoye et Anne-Marie Thuot, qui sont passionnées par la royauté et par Jane Austen. D’autres traducteurs auraient certainement fait ça très bien, mais n’y auraient peut-être pas trouvé le même intérêt.

Je reconnais que j’ai tendance à travailler régulièrement avec les mêmes auteurs. Une fois qu’on a trouvé quelqu’un qui fait un travail satisfaisant et avec qui on s’entend bien, on s’y tient. Mais j’essaie aussi, de temps en temps, de me diversifier un peu et de ne pas travailler exclusivement avec les mêmes adaptateurs.

Parfois, il y a des adaptateurs habitués à un univers particulier : Kaboom (Gregg Araki, 2010), par exemple, était un film au langage très jeune. La production s’était renseignée et on lui avait recommandé Pascale Joseph6, parce qu’elle avait traduit des séries comme The L Word ou des films comme Very Bad Trip (The Hangover, Todd Phillips, 2009). Pour les jeux de mots et les expressions un peu pointues, on nous avait dit que Pascale était très bien. Ça peut se passer comme ça aussi quand on cherche une compétence spécifique.

Le fait qu’un adaptateur ait traduit les précédents films du même réalisateur peut-il jouer un rôle ?

Cela arrive, mais pas systématiquement. Le plus souvent, l’adaptateur qui a traduit le film précédent se manifeste quand il apprend que le nouvel opus du cinéaste qu’il suit arrive chez Wild Bunch. Dans ce cas, je regarde ce qu’il a fait sur les films précédents. Si c’est bien, il m’arrive de confier l’adaptation à un auteur avec lequel je n’avais jamais travaillé auparavant.

Cela peut aussi rassurer le réalisateur : un adaptateur qui suit un réalisateur depuis le début, ce n’est pas quelqu’un qui fait du travail à la chaîne. Quand il s’agit de films qui font de bonnes entrées en VOST, la France est souvent un territoire fort. Il arrive donc que le réalisateur suive un peu les chiffres de ses films, voire qu’il ait, à l’occasion d’un festival, rencontré la personne qui fait ses sous-titrages. S’il a eu de bons échos, il recommande en quelque sorte son traducteur. C’est rassurant pour tout le monde, de se dire qu’on reprend la même équipe pour reproduire un succès.

A contrario, quand certains réalisateurs jugent qu’ils ne sont pas suffisamment applaudis à Cannes, ils mettent souvent cela sur le dos des sous-titres. Ainsi, What Just Happened?7, de Barry Levinson, a fait la clôture de Cannes 2008. Les sous-titres étaient très bien, mais comme les spectateurs ne riaient pas assez aux moments voulus par le réalisateur et qu’il a estimé qu’on ne l’avait pas suffisamment applaudi, il en a déduit que ça ne pouvait pas venir de son film, mais forcément des sous-titres.

Le producteur et le responsable de la postproduction nous ont réclamé les sous-titres après coup, pour les faire relire à un autre traducteur et faire des commentaires. On n’a jamais vu revenir une seule remarque.

Arrive-t-il que vous mettiez en contact l’auteur des sous-titres ou du doublage et le réalisateur ?

Non, c’est même assez rare. Si l’occasion se présente, lors d’un festival, on peut les mettre en relation. Parfois, il arrive qu’on transmette à la production des questions du traducteur parce que tout n’est pas toujours clair dans les dialogues. Mais dans ce cas, cela ne donne pas toujours lieu à un contact direct avec le réalisateur, c’est souvent un assistant ou un membre de l’équipe de postproduction qui assure le suivi des sous-titres.

Il y a toutefois des exceptions : quand on demande des précisions à Guillermo del Toro en vue de réaliser les sous-titres, c’est lui-même qui répond.

Les réalisateurs face à l’adaptation

Guillermo del Toro avait été assez mécontent des sous-titres anglais réalisés pour L’Échine du diable (El espinazo del diablo, 2001)8. Il avait suivi de près et co-écrit ceux du Labyrinthe de Pan (El laberinto del fauno, 2006).

L’explication est sans doute là… Pour Le Labyrinthe de Pan, Wild Bunch s’est occupé à la fois des sous-titres anglais et des sous-titres français, pour la présentation à Cannes. C’est à cette occasion qu’on a échangé avec lui.

Comme les deux sous-titrages apparaissaient simultanément sur la copie, il fallait coordonner les deux pour que ce soit plus propre et plus joli. Le laboratoire de postproduction a parachevé le tout pour que tout soit bien en place. Dans un cas comme ça, on évite surtout qu’il y ait de trop gros écarts de sens entre les sous-titres anglais et les sous-titres français. Sans aller bien sûr jusqu’au faux sens, il peut arriver que l’adaptateur français fasse un choix, en se disant : « Dans cette réplique, c’est cet élément qui est important. » Si l’auteur anglais juge que c’est une autre idée qui est importante, mais qu’il n’y a matériellement pas la place de tout mettre dans le sous-titre, on s’efforce d’harmoniser les deux versions.

Pour Cannes, le repérage des sous-titrages anglais et français est le même ?

En l’occurrence, les deux versions avaient été faites dans le même laboratoire, le repérage était donc identique. Généralement, quand il y a de petits écarts, on s’efforce d’aligner le repérage des deux versions.

La largeur des sous-titres est moins grande en sous-titrage électronique [c’est-à-dire pour les sous-titres anglais projetés en « sous-titrage virtuel » sur la copie] qu’en sous-titrage classique [c’est-à-dire pour les sous-titres français gravés et incrustés « à l’ancienne » dans la copie par un processus physique et chimique]. De ce fait, il arrive que ce qui tient en une ligne en sous-titrage classique se retrouve sur deux lignes en sous-titrage électronique. On a donc fait en sorte que ça n’arrive pas dans Le Labyrinthe de Pan, pour éviter d’avoir deux sous-titres qui ne s’affichent pas de la même façon.

En revanche, bien que le repérage soit le même, à certains endroits, on a jugé que les dialogues n’étaient pas importants et jouaient davantage un rôle de bruit de fond. Le fait d’avoir des sous-titres sortait le spectateur de la scène et l’obligeait à lire le texte au lieu de se laisser happer par l’image.

Un exemple me revient à l’esprit : au début du film, quand Ofelia et sa mère, Carmen, arrivent en voiture, la petite fille voit la fée pour la première fois et la suit dans la forêt. Sur ces images, on entend encore de manière très présente les répliques de la mère qui insulte le chauffeur. Dans une version initiale du sous-titrage, ce passage avait été traduit. Lors de la simulation des sous-titres, il m’a semblé que c’était dommage : on lisait les sous-titres alors que le dialogue n’avait aucun intérêt, puisqu’on comprenait bien, au ton, que les personnages se disputaient. Il valait mieux accompagner la petite fille, avec ses yeux émerveillés sur la forêt, sur la fée… On a donc proposé à Guillermo del Toro de supprimer ces sous-titres. Puisqu’on le faisait pour les sous-titres français qui allaient être visibles en même temps que les sous-titres anglais, il fallait aussi les supprimer dans le sous-titrage en anglais.

Le cas s’est également présenté dans Two Lovers (James Gray, 2008). À un moment, Joaquin Phoenix fait un tour de magie à table. Autour de lui, on entend des conversations, qui étaient toutes sous-titrées initialement. Or pendant qu’il faisait son tour de magie – le truc de la cuillère molle – le sous-titre apparaissait juste devant la cuillère. On a donc proposé de ne pas traduire cette partie du dialogue, parce qu’il s’agissait d’ambiance.

Pourtant, en l’espèce, l’ambiance était très présente. La volonté du réalisateur était manifestement qu’un anglophone puisse suivre la conversation. Il s’agissait donc d’un vrai choix de notre part de décréter qu’on n’allait pas la sous-titrer. Quelqu’un qui voudrait suivre la conversation comme le spectateur anglophone, ne le pourrait pas. On a tranché, avec l’accord des producteurs de James Gray.

VO et VF : deux publics différents

Comment se passent les simulations et les vérifications ? Qui est présent ? Arrive-t-il que le réalisateur y assiste ?

Je n’ai jamais vu un réalisateur présent à une simulation. Il arrive qu’un réalisateur, même s’il n’est pas francophone, demande tout de même qu’on lui envoie les sous-titres, peut-être pour les faire relire par un ami. Mais généralement, on n’a pas de commentaires par la suite. Ils ont tendance à dire systématiquement que c’est très bien ! Touchons du bois, c’est peut-être vrai… ou alors ils ne les lisent pas du tout !

Généralement, sont présents le simulateur ou la simulatrice, l’auteur des sous-titres, ainsi qu’un ou plusieurs représentants de Wild Bunch. Il peut arriver que Wild Bunch envoie plusieurs personnes, si elles ont le temps : le service marketing se déplace parfois, par exemple. Quand on s’occupe du sous-titrage d’un film en langue étrangère pour une société de production française, l’équipe de cette société peut être intéressée aussi. Si c’est la production française qui s’occupe des sous-titres, dans la mesure du possible, j’essaie de me manifester pour signaler que j’aimerais relire les sous-titres ou, encore mieux, être présent à la simulation.

Dans le cas des doublages, le directeur artistique est bien sûr présent, mais Wild Bunch s’efforce d’y assister aussi. Personnellement, pour les films dont je m’occupe, je m’y rends toujours. S’agissant des films pour lesquels on nous livre une version doublée, j’essaie d’y aller dans la mesure du possible, mais je suis souvent prévenu au dernier moment : je n’ai alors que les textes, ou je suis simplement convié à la double bande9. Il y a cependant toujours un responsable de postproduction qui supervise tout cela comme je l’aurais fait, et bien sûr, il y a un directeur artistique.

Y a-t-il parfois des demandes de coordination, d’harmonisation, entre les auteurs de doublage et de sous-titrage ? On pense toujours à l’harmonisation des tutoiements et des vouvoiements, mais faites-vous d’autres choix que vous communiquez aux auteurs ?

Pour les derniers films que Wild Bunch a fait doubler, le calendrier le permettant et les adaptateurs étant aussi compétents en sous-titrage qu’en doublage, j’ai fait appel à la même personne.

Mais dans mes expériences précédentes, ce n’était pas toujours le même auteur qui travaillait sur les deux adaptations. On communique parfois les sous-titres à l’auteur du doublage dans un deuxième temps, pour l’aider un peu ou pour qu’il s’assure qu’il n’y a pas de contresens. Comme je suis généralement présent à la vérification, je peux de toute façon m’assurer de cette cohérence.

Dans certains films, il y a en revanche des mots inventés ou des termes très spécifiques qu’on harmonise. Dans Land of the Dead (George Romero, 2005), par exemple, il y a un camion baptisé le « Dead Reckoning ». Après réflexion, on a opté en français pour « Le Patrouilleur de la mort ». La consigne a été transmise aux deux auteurs, pour des questions de marketing.

Pour Sin City (Frank Miller et Robert Rodriguez, 2005), il y avait l’héritage de la bande dessinée. On a eu un débat sur le surnom d’un personnage, « mortelle petite Miho10 ». En bon français, on aurait dû employer « fatale » au lieu de « mortelle ». Mais c’est un personnage emblématique et récurrent de la BD, connu sous ce nom par tous les fans. Des sites web qui portent ce nom lui sont dédiés, par exemple. Pour des noms de ce type, on ne tient pas à se mettre à dos la communauté des fans ! Comme « mortel » est de toute façon employé un peu à tort et à travers aujourd’hui, j’ai demandé à l’auteur de reprendre ce nom qui figurait dans la traduction de la BD et qui était devenu comme un cri de ralliement des fans.

Pour en avoir discuté avec les adaptateurs, je sais qu’il arrive que des distributeurs demandent à l’auteur du sous-titrage de reprendre certaines répliques du doublage, quand un client juge une trouvaille particulièrement bonne, sur un terme ou un jeu de mots. Mais a priori, les spectateurs vont voir soit la VOST, soit la VF, pas les deux. Quand je donne des consignes, c’est donc vraiment pour des termes techniques ou spécifiques que l’on retrouve en dehors de l’adaptation elle-même. « Le Patrouilleur de la mort », c’était un nom qui pouvait figurer sur le site web du film, par exemple. Mais ça n’a pas grande importance à mes yeux de retrouver exactement le même jeu de mots dans les deux versions.

Histoires de titres

Parlons du choix des titres des films. Lady Vegas, par exemple, porte un titre très différent en anglais.

Oui, le titre original est Lay the Favorite, un terme technique des paris sportifs. C’est Isabelle Audinot, l’adaptatrice, qui m’a appris ce qu’il signifiait en faisant ses recherches sur l’univers du pari et des bookmakers. Cela consiste à parier contre le gagnant pour faire baisser la cote… c’est un peu compliqué, ce sont des histoires de bookmaker ! C’est d’autant plus compliqué que les paris ne fonctionnent pas de la même façon en France. En d’autres termes, le titre original n’était pas parlant pour le public français.

En anglais, c’est une expression consacrée. Certes, il faut connaître et le public ne visualise peut-être pas instantanément ce que cela désigne, mais il comprend qu’il s’agit de parier sur la défaite du favori.

On a cherché des traductions, mais aucune ne nous satisfaisait. Lady Vegas, mémoires d’une joueuse est le titre français du roman dont est adapté le film11. On a gardé ce titre et ce sous-titre.

« On », c’est le service marketing ?

Chez nous, c’est le directeur de la distribution qui tranche, en dernier ressort. C’est l’équipe marketing qui réfléchit au titre, mais elle fait souvent participer à la réflexion le service technique ou la programmation. Dans certains cas, l’équipe marketing juge que c’est une bonne idée de conserver le titre original, mais l’équipe de programmation n’est pas du même avis. Au contact des exploitants, on se rend parfois compte que le titre ne « passe pas », qu’il y a un problème.

Prenons l’exemple de Safe : on a imaginé plusieurs titres, tels que « Sous haute protection » ou « Protection rapprochée », mais on basculait tout de suite dans la série B. Le film a été renommé plusieurs fois, mais les titres français qui n’étaient pas déjà pris ne nous convenaient pas. Safe, c’est le titre original, un jeu de mots sur « sécurité » et « coffre-fort ». Même si tout le monde ne le comprend pas, même si certains le prononcent « saf », ce n’est pas difficile à dire.

Pour d’autres films, en revanche, on pensait que c’était une bonne idée de garder le titre original, mais la programmation nous en a dissuadés. Pour élargir le public du film et atteindre le nombre d’entrées que l’on souhaitait, par exemple, on ne pouvait pas conserver We Own the Night, il fallait traduire : La Nuit nous appartient.

Arrivederci amore, ciao (Michele Soavi, 2005) est un contre-exemple…

C’est vrai, on l’a gardé. Mais c’est un film qui sortait uniquement en VOST dans des salles art et essai, c’est le titre d’une chanson italienne et, de plus, tout le monde connaît les mots « arrivederci », « amore » et « ciao ». C’est parlant et facile à dire.

Arrive-t-il encore que le titre soit proposé ou imposé par la production de départ, comme cela se faisait à une époque ?

Non. Quand on choisit un titre, on le fait toutefois systématiquement valider par la production et il arrive qu’il y ait débat.

C’est arrivé pour un film de Tsai Ming-liang, dont le titre international était The Wayward Cloud (2005). Il était produit par une société française, si bien qu’il avait déjà un titre français quand nous l’avons racheté : Un nuage au bord du ciel. Je trouvais ça très joli et très poétique, mais le film avait un caractère assez sensuel, charnel, voire sexuel. Il restait typique du style de Tsai Ming-liang : très contemplatif, avec peu de dialogues et un rythme particulier. Mais il y avait dans ce film un côté comédie musicale qu’il n’y a pas dans les autres, ainsi que ce côté très sexuel.

Nous avons délibérément choisi d’être un peu plus racoleurs et de ne pas conserver le titre original. La photo que nous avons retenue pour l’affiche provenait de la première scène du film : un tournage de film pornographique, lors duquel un acteur se retrouve face à une actrice habillée en infirmière, qui a une demi-pastèque coincée entre les jambes. Le cliché a été épuré, nous avons supprimé tous les autres éléments autour, ajouté un fond blanc et un lettrage « asiatisant ». Pour l’accompagner, nous avons choisi après réflexion La Saveur de la pastèque, qui était plus en accord avec l’image. Si nous avions gardé Un nuage au bord du ciel avec cette affiche, il y aurait eu un décalage.

Dans le cas d’un titre contenant un jeu de mots ou une référence particulière, vous arrive-t-il de demander une proposition de titre au traducteur ?

C’est arrivé que l’on demande une idée à l’auteur du doublage ou du sous-titrage, soit pour le titre, soit pour les « catchlines » qui figurent sur l’affiche ou dans les bandes-annonces. On ne retient pas systématiquement sa proposition, mais il participe à cette réflexion et nous donne des pistes, ce qui nous permet de plancher ensemble ensuite.

Comment le titre de Tucker et Dale fightent le mal (Tucker & Dale vs Evil, Eli Craig, 2010) a-t-il été trouvé ?

On s’est beaucoup interrogés pour ce film. En version originale, le titre est Tucker & Dale vs Evil. C’est beaucoup plus simple, mais on ne pouvait pas le conserver, car « versus » et « evil » ne sont pas très parlants. « Tucker et Dale » tout court, ça tombait un peu à plat, tout comme « Tucker et Dale contre le mal ». À force de réfléchir, on a cherché des expressions utilisées par les jeunes et on a pensé à « on se fighte ». C’était dans l’esprit du film, qui est une comédie très second degré. On voulait jouer sur ce côté un peu potache dans le marketing. On a donc choisi « fightent le mal », en conjuguant « fight ».

Je pense qu’on a atteint l’objectif visé avec ce titre. Beaucoup de gens ne l’ont pas du tout, du tout apprécié, mais comme ils se manifestaient pour le dire, ça faisait tout de même parler du film. Et beaucoup ont trouvé ce titre très sympa et très osé, parce qu’il essayait de sortir un peu des sentiers battus, des titres assez calibrés que l’on trouve habituellement dans les films de genre.

Pour Land of the Dead, il n’y a pas eu de choix français ?

Le film date de 2005, on était encore en rodage. Mais la question s’est posée, c’est la raison pour laquelle l’affiche porte en sous-titre « Le Territoire des morts ». Les caractères sont plus petits que ceux du titre, mais c’est tout de même bien lisible : la traduction apparaît donc. Quand on discutait du film avec certains exploitants qui n’arrivaient pas à prononcer « Land of the Dead », on parlait plutôt du « Territoire des morts », et l’association était faite.

Du reste, les distributeurs qui ont sorti les épisodes suivants ont aussi conservé les titres anglais : Diary of the Dead et Survival of the Dead.

La qualité a un prix

Qu’en est-il du budget consacré à l’adaptation ? Comment est-il décidé ?

On me dit toujours que c’est trop cher ! Je fais le maximum pour avoir tout de même un budget qui me permet de rémunérer correctement les auteurs et au final, je crois qu’on arrive à obtenir des sous-titrages et des doublages de qualité. En tout cas, je n’ai jamais eu de remarque négative en interne et les échos extérieurs sont habituellement bons. Si on sabrait dans le budget, ce serait au détriment de la qualité.

En ce qui concerne la prestation des laboratoires de doublage ou de sous-titrage, le tarif est standardisé et dépend du nombre de bobines et de sous-titres. De la même façon, le tarif de l’auteur est un tarif à la bobine ou au sous-titre. Sauf cas particulier – et j’en ai eu très peu – c’est ce prix, un point, c’est tout.

Dans le cas d’un petit film pour lequel j’ai très peu de budget, s’il y a énormément de sous-titres, on essaie de se mettre d’accord avec l’auteur, parce que le poste « sous-titrage » risque d’être disproportionné. On lui demande alors un petit effort, parce qu’on a tout de même envie de travailler avec lui et d’obtenir un résultat de qualité. Mais ce genre de cas est rarissime. Pour le sous-titrage, c’est mathématique : le nombre de sous-titres dépend des dialogues du film.

Pour les doublages, le choix des comédiens est-il délégué aux directeurs artistiques, ou est-ce Wild Bunch qui s’en charge ?

On commence par choisir un studio de doublage. Ils sont nombreux, plus encore que les labos de sous-titrage, si bien que depuis quelque temps, j’interroge plusieurs sociétés en passant par des appels d’offres. On sélectionne notre prestataire en fonction du prix, de la promesse qualitative qui va avec et parfois aussi de l’équipe qu’il nous propose.

Ensuite, il y a généralement trois points que l’on détermine ensemble, le prestataire et moi : premièrement, l’auteur. Maintenant que je connais un peu plus d’auteurs qui font du doublage, j’ai tendance à en proposer un moi-même et si mon choix ne convient pas, on en discute.

Deuxièmement, le directeur artistique. J’émets des suggestions, mais j’écoute aussi celles du studio de doublage, parce que j’en connais moins. Parfois, pour un film un peu particulier, ils savent qu’Untel ou Untel serait bien. Parfois aussi, on prend le directeur artistique « maison ». Quand on travaille avec Alter Ego, par exemple, on sait qu’Hervé Icovic va diriger le doublage. Il est connu pour être très bon sur les films un peu compliqués, qui nécessitent de sortir des sentiers battus. C’est avec lui qu’on a doublé Le Discours d’un roi et il a fait appel à des comédiens de théâtre, qui n’étaient donc pas spécialisés dans le doublage. Mais connaissant l’expérience d’Hervé en doublage, je savais qu’il saurait obtenir un très bon jeu tout en garantissant la synchro des répliques.

Le troisième poste sur lequel on se met d’accord est celui de l’ingénieur son, pour le mixage.

La discussion sur les comédiens vient dans un deuxième temps. On en parle avec le studio de doublage et le directeur artistique qui ont été retenus. Il peut y avoir débat, par exemple, sur le fait de choisir ou non la voix « officielle » d’un comédien. Il peut aussi arriver qu’il n’y ait pas de voix attitrée ou qu’il y en ait plusieurs, ou encore que le directeur artistique propose un autre comédien, etc. En cas de doute, on peut demander des essais de voix. J’en faisais beaucoup au début parce qu’on distribuait de plus petits films avec des acteurs moins connus. Maintenant, c’est peut-être le hasard, mais les voix s’imposent davantage comme des évidences et je fais peut-être plus confiance aussi aux directeurs artistiques, que je connais mieux. En outre, les essais de voix ont un coût : il faut payer l’auditorium d’enregistrement, les comédiens et le directeur artistique qui vient les diriger.

En résumé, on discute généralement de quatre ou cinq rôles-clés. La distribution des petits rôles et des ambiances est laissée à la discrétion du directeur artistique.

Vous arrive-t-il d’avoir des retours de spectateurs sur les traductions ?

Il est rare qu’on en reçoive directement. En revanche, on regarde un peu les forums (ceux d’Allociné, par exemple) pour voir ce qui se dit du film d’une manière générale : si la promo prend, si les gens aiment ou pas, etc. C’est un outil précieux pour avoir un retour du public auquel on s’adresse, mais sur Internet, les gens se manifestent plutôt pour râler que pour dire du bien, et ce n’est pas spécifique au cinéma ! Il y a toujours des gens pour dire : « Le doublage va être nul, il faut vraiment voir ce film en VO », alors que le doublage n’est même pas fait et les sous-titres non plus.

Il est arrivé – rarement – qu’on ait de bons retours sur la VF ou sur les sous-titres, et ça fait toujours plaisir. Il y a trois cas qui m’ont marqué. D’abord, celui de Piranha 3D (Alexandre Aja, 2010) : le réalisateur nous avait fortement recommandé un directeur artistique et auteur de doublage en qui il avait confiance. Dans un tel cas, si les personnes recommandées peuvent convenir, on évite d’aller au conflit et on fait appel à elles. Lors de la projection de presse, le matériel avait du retard et on n’avait pas pu préparer un sous-titrage 3D dans les temps. La projection avait lieu dans une grande salle du Publicis et rassemblait les journalistes, les partenaires du film, les gens de la promo, etc. On leur a donné le choix entre la version doublée en 3D ou la version sous-titrée en 2D. Choix cornélien ! Habituellement, les journalistes ne voient jamais la version doublée, mais pour une fois, plusieurs articles consacrés au film ont noté que la VF fonctionnait bien et était dans l’esprit du film. Il y avait eu un gros travail d’adaptation, le dialoguiste (Marc Saez) s’était un peu lâché par moments, sans s’affranchir complètement de la VO, bien sûr, mais en donnant une vraie personnalité à la VF. On avait aussi, par exemple, repris la voix de Pierre Hatet, qui double Christopher Lloyd dans le rôle du Doc de Retour vers le futur, lequel a aussi un petit rôle de scientifique un peu fou dans Piranha 3D. Ces petits détails ont également plu aux journalistes qui ont vu le film en VF.

Le deuxième cas, c’est Kaboom. Le lendemain de la projection cannoise, Libération a publié un long article12 disant que le film était très bien, que les dialogues faisaient mouche et étaient « correctement traduits ». On ne peut pas dire qu’ils aient porté les sous-titres aux nues, mais je n’avais jamais vu ça dans un titre de presse quotidienne nationale.

Le troisième, c’est Safe. Il y a eu un long article sur le site Écran large consacré à la VF du film13. Comme il avait un côté très années 1980, on avait joué sur cet aspect. Certains journalistes ont noté cet effort et en ont parlé. Comme on n’a généralement que des retours négatifs, ça fait toujours plaisir quand il y a des gens pour applaudir le travail du distributeur.

Le sous-titrage 3D dynamique, un exercice délicat

Est-ce que la 3D peut jouer sur le texte des sous-titres ?

Le cas ne s’est pas présenté pour l’instant. Mais quand on a commencé à travailler sur Piranha 3D, l’équipe nous a prévenus que s’il y avait des sous-titres un peu longs et compliqués, il faudrait peut-être les couper en deux dans certains cas, pour préserver le confort de lecture. Ou les modifier un peu pour mieux pouvoir les placer en hauteur dans le cas d’un effet de jaillissement au premier plan.

Plus généralement, que change la 3D pour les sous-titres ?

L’image est en relief, avec une profondeur de champ, si bien qu’à chaque plan, l’œil doit faire le point sur un autre niveau de profondeur principal. Il faut donc placer le sous-titre à un niveau confortable pour la lecture : s’il est trop en avant, par exemple, et que l’œil a besoin de faire le point différemment pour le sous-titre et pour le reste de l’image, ça devient vite très fatigant.

Concrètement, une fois que les sous-titres sont faits, nous les envoyons à un labo spécialisé dans la 3D, qui réalise le placement des sous-titres. Il existe des logiciels qui calculent la profondeur de champ et proposent automatiquement un « préplacement », mais le reste du travail est laborieux et se fait sous-titre par sous-titre. Il faut vérifier, avec des lunettes 3D, si le placement est confortable. Parfois, quand il y a des effets de jaillissement qui donnent déjà l’impression de « sortir » beaucoup de l’écran, il ne faut pas que le sous-titre soit encore plus en avant. C’est la raison pour laquelle les sous-titres 3D sont parfois un peu décalés, pour ne pas percuter un élément en mouvement ou créer une aberration de profondeur pour l’œil.

Mais ce n’est qu’un premier niveau de sous-titrage 3D. Ce qui se fait de plus en plus souvent – et c’était le cas pour Piranha 3D – c’est du sous-titrage 3D dynamique. On y a recours en particulier pour les bandes-annonces, mais aussi quand un sous-titre passe un changement de plan, ou quand les comédiens se déplacent dans le plan et que l’œil est obligé de les suivre : il faut alors que le sous-titre se déplace en même temps pour rester dans le champ visuel, au bon niveau. Ou encore en cas de champ/contrechamp : si le sous-titre passe le plan, il faut ménager une transition pour ne pas gêner l’œil.

Vous pouvez faire l’expérience pendant une projection 3D : quand on retire les lunettes, l’image apparaît généralement en double. Le sous-titrage apparaît lui aussi en double, et on voit les deux lignes de sous-titres qui se déplacent, marquant les changements de profondeur de plan.

Le sous-titrage 3D dynamique est donc un exercice délicat. L’œil ne le perçoit pas, tout est fait pour que le spectateur ne se rende pas compte que le sous-titre se déplace. Le sous-titre reste confortable, lisible sans difficulté.

De plus, l’intégration d’un tel sous-titrage dans une version 3D prend du temps. Pour un film « simple », il faut déjà compter une à deux semaines pour obtenir un sous-titrage 3D correct. En l’occurrence, le sous-titrage de Piranha 3D était particulièrement compliqué parce qu’il y avait beaucoup d’effets de jaillissement. Il a été fait en six jours par deux spécialistes qui étaient des passionnés et faisaient chacun des journées de quinze ou seize heures. On a été invités à faire une projection-test un soir à 22h30 avec l’un d’eux. Il était tout seul dans sa salle de projection, j’étais un peu gêné qu’il soit obligé de travailler si tard pour respecter nos délais, mais ça n’avait pas l’air de le déprimer, il trouvait ça passionnant. C’est ce qui me plaît dans les métiers du cinéma de manière générale ; on croise beaucoup de passionnés qui ne comptent pas leurs heures, ni leur énergie.

Propos recueillis par Samuel Bréan et Anne-Lise Weidmann à Paris, le 25 août 2012

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