Gladys Pascazio, traductrice franco-italienne pour le cinéma au milieu du XXe siècle

La fameuse définition d’Umberto Eco selon laquelle « la langue de l’Europe, c’est la traduction » est applicable au monde du cinéma en général et à son produit final, le film. L’activité de traduction pour le cinéma exige des compétences en traduction de dialogues mais aussi la connaissance spécifique d’un secteur industriel et commercial, de différents genres, cinématographies nationales, écoles et tendances de l’histoire du cinéma. Les délais sont souvent courts et les matériaux et textes de nature très diverse : contrats, correspondances, projets et comptes rendus, documents financiers, synopsis, scénarios, dialogues, génériques, articles et recensions.

Cette diversité de documents est réunie dans un fonds qui porte le nom de Pascazio, conservé par la Cinémathèque française. Ce n’est pas le nom d’un réalisateur, d’un acteur ou d’un scénariste, mais celui d’une traductrice, et c’est peut-être la raison pour laquelle ce fonds est moins connu que d’autres. Il rend compte, pour une période qui s’étend de 1947 à 1961, non seulement d’un parcours professionnel et en partie personnel, mais aussi d’activités et de techniques, surtout liées à la production et à la distribution, et de transferts culturels franco-italiens. Ce fonds répertorie également un nombre important de sociétés de production et de distribution, de réalisateurs et, bien sûr, de films traduits1 qui ont marqué, de l’après-guerre aux années 1960, à la fois l’histoire du cinéma moderne et la diffusion du cinéma italien en France et du cinéma français en Italie. À ces films s’ajoutent les coproductions franco-italiennes qui, justement à cette époque, sont institutionnalisées grâce aux accords signés par les deux gouvernements2 et se développent de façon exponentielle, au point de constituer un véritable phénomène au sein du cinéma européen de l’après-guerre.

À travers quelques éléments biographiques, la présentation du fonds et certains cas particuliers, je souhaite reconstituer le parcours de Gladys Pascazio et attirer l’attention sur ce vaste et riche ensemble de documents (la plupart d’entre eux sont en français, les autres en italien), mais aussi en souligner l’intérêt en ce qui concerne la connaissance des techniques de traduction et les activités de coproduction et de circulation internationale des films.

Un fonds de traduction riche et varié

Constitué de 94 dossiers répartis dans cinq boîtes, le fonds Pascazio a principalement pour objet des films, tandis que d’autres dossiers réunissent des traductions et des documents variés, relatifs à des contacts et des travaux pour des sociétés spécifiques, ou bien de la correspondance de diverse nature. On y trouve par exemple plus d’un curriculum vitae, ainsi que plusieurs lettres par lesquelles la traductrice se présente de manière à obtenir un nouvel emploi ou à élargir l’éventail de sa clientèle. Ces documents précieux nous renseignent sur sa trajectoire biographique et professionnelle. Dans le même temps, ils témoignent de la nature particulièrement « autonome » de la profession en question, aussi bien que de la nécessité d’être très entreprenant pour la pratiquer durablement (ainsi que, dans certains cas, pour en percevoir la rémunération3).

Par exemple, en juillet 1951, Pascazio reçoit une lettre de la Fox (ill. 1), dont le siège européen est à Paris. On lui demande de prendre contact avec M. Louis Lafon, qui voudrait lui confier « la traduction en Français du dialogue d’un film Italien “Il ladro di venezia” [Le Voleur de Venise, John Brahm, 1950, coproduction Italie-États-Unis], pendant la vision du film, c’est-à-dire pendant que les images passeraient sur l’écran. Vous auriez à donner à quelques personnes présentes le texte en Français du dialogue Italien4 ». Le nom de la traductrice a été signalé à la Fox par « M. Lo Duca » : il s’agit peut-être de Joseph-Marie Lo Duca (1930-2004), écrivain et critique de cinéma italo-français, qui venait de co-fonder, en avril, les Cahiers du cinéma. Mais il pourrait aussi s’agir d’une erreur sur le com de l’éditeur et producteur de cinéma, lui aussi italo-français, Cino Del Duca (1899-1967) qui, deux ans plus tard, fondera à Rome la Cino Del Duca produzioni cinematografiche europee, avec une filiale à Paris, la Del Duca Films.

Ces documents ne donnent pas d’autres précisions, mais cette transaction (manquée) offre un exemple de l’habitude que la traductrice avait de tout noter, toujours en détail, à propos des processus de prise de contact, des rendez-vous, des accords financiers, des paiements, etc. Elle consigne noms, dates, horaires, la nature d’éventuels accords et engagements verbaux et le nombre de lignes et de pages remises (dont elle garde toujours une copie). En parcourant le fonds, l’utilité de cette méticulosité apparaît clairement, quand les commanditaires retardent le paiement, rémunèrent de façon incomplète, voire cherchent à tricher sur le nombre de pages remises ou à attribuer à Pascazio des erreurs professionnelles dont elle n’est pas responsable, dans le dessein de diminuer sa rétribution. Pour ce qui est de sa rencontre avec M. Lafon, elle note, par exemple, à la main au bas de la lettre citée :

« Antipathique

non compréhensif (p/ heure rendez-vous)

RV. lundi avant 18 h 45 : arrivée à 18 h 40 (en voiture avec E.) – déjà parti ! (croisés)

Tél. mardi 12 h 17.7.51 : « je suis parti à 18 h 45 » mensonge « D’ailleurs j’ai réfléchi, nous aurons toujours les m[êmes] difficultés p/ nous rencontrer. Je chercherai ailleurs. »

1. Lettre de la société Fox-Europa à Gladys Pascazio (10 juillet 1951) avec annotations manuscrites de la traductrice

Ce fonds recèle également des traductions (le plus souvent de l’italien vers le français) d’articles et de recensions de films déjà sortis dans un pays et qui s’apprêtent à être distribués dans l’autre. Les producteurs français et italiens sont donc attentifs à l’accueil critique de la nation voisine, mais aussi aux opinions exprimées sur l’état de l’industrie et du commerce cinématographiques, intérieurs ou internationaux. On trouve, entre autres, la version italienne de l’article « L’industrie française » de Laurent Ollivier, secrétaire général de la revue corporative La Cinématographie française, qui en a commandé la traduction. Ollivier part de considérations sur la production française de 1948. Si le début du propos est centré sur la chute de la production et la diminution corollaire du nombre d’œuvres prestigieuses, le texte – en italien dans le fonds – change rapidement de sujet : « On doit avouer que le grave tort de l’industrie française est la méconnaissance du pouvoir de la publicité. » La rareté et la médiocrité de la promotion seraient ainsi un des principaux obstacles à un lancement efficace des films, tant sur le marché français qu’à l’étranger. La responsabilité en est attribuée aux producteurs et aux distributeurs, mais aussi aux exploitants5.

2 et 3. Échanges entre Gladys Pascazio et Laurent Ollivier, secrétaire général de "La Cinématographie française", à propos de la traduction en italien d'un article de la revue (8-9 novembre 1948)

Les débuts à Rome et à Paris

Gladys Pascazio, qui signe parfois Gladys F. Pascazio6, ou simplement « Loly », utilise aussi parfois son nom d’épouse, Lorcery. Née en 1920, de nationalité française, elle quitte la France pour l’Italie en 1940, pour suivre ses parents, journalistes de profession7. Son père est italien et sa mère française, ce qui explique son bilinguisme. Elle commence une carrière de secrétaire de direction à Rome, au Consortium cinématographique EIA (Edizioni Internazionali Artistiche), qui œuvre dans le secteur de la production et de la distribution : elle y travaille de juin 1940 à septembre 19468. Entre-temps, elle obtient une licence de Lettres9. Durant la guerre, elle perd sa mère et une sœur, et son père se remarie10. Ne voyant plus l’intérêt de rester en Italie, elle se fait engager par la filiale parisienne de la Columbia Film, où elle travaille comme secrétaire du directeur technique d’octobre à décembre 1946, « en contact avec les acteurs de doublage11 ». Au début de 1947, elle s’installe définitivement en France, où elle rejoint sa famille maternelle, qui réside à Aix-les-Bains. Pascazio commence à travailler comme secrétaire et traductrice à la Gray-Film, une société de production, distribution et exportation de films dont le siège est à Paris, où elle finit par s’installer. À partir de janvier 1947, elle est aussi traductrice de l’italien à la filiale parisienne de la prestigieuse Berlitz School12. En juin 1948, à la recherche d’un autre emploi, elle répond à une annonce – pour un poste de chef de service d’importation et d’exportation de films – par une lettre dans laquelle elle décrit son activité au sein d’« une importante Maison de Distribution », c’est-à-dire la Gray-Film, où elle est chargée « entre autres de la vente à l’Étranger13 ». Elle explique également quel a été son travail pour le Consortium EIA, où elle s’occupait

aussi bien de ventes et achats de films, assurances, contentieux, personnel, etc. que de tout ce qui a trait à l’édition des films (doublage à l’image et à la bande, adaptations de dialogues, contrôle de ceux-ci à la moviola14, tirages de copies, confections de films-annonce, publicité et lancement, etc.).

Je connais les différents organismes officiels présidant à l’importation et exportation, ainsi qu’à la distribution des bons-pellicule15 ; les différents Laboratoires s’occupant du tirage 35 m/m et 16 m/m ; les Maisons de transport spécialisées dans les expéditions de films à l’Étranger ; les marchés étrangers, etc. etc. J’ajouterai que j’ai toujours travaillé dans le cinéma, et que j’ai toujours occupé des postes de responsabilité et d’initiative, ainsi que de confiance16.

Ailleurs, elle entre dans les détails :

À Rome, je me suis occupée de dialogues de films (« adaptations »). C’est moi qui réalisa [sic], entre autres (avec indication afférente de mon nom au générique) les dialogues de : Le Bienfaiteur, Douce, Florence est folle – sans compter d’autres films étrangers dont les titres italiens étaient L’amante mascherata, Rivelazione, Idillio a Majorca, etc17.

Sans cesse à la recherche de nouveaux travaux de traduction, Pascazio envoie souvent des lettres pour proposer ses services là où elle suppose qu’il peut y avoir des possibilités. Vers la fin du mois d’octobre 1950, elle écrit par exemple à la société parisienne Astoria Films : de toute évidence, elle dépouille les revues corporatives de cinéma, comme la Cinématographie française, où elle a appris « que vous projetez de distribuer quelques films italiens18 ». Dans cette lettre, elle donne encore le numéro de téléphone de son bureau à la Gray-Film, qu’elle quittera un mois plus tard.

4. Lettre de Gladys Pascazio proposant ses services de traduction de l'italien (et de l'anglais) à M. Bauby de l'Astoria Films, Paris (23 octobre 1950)

En effet, à la fin de novembre 1950, elle occupe un emploi de secrétaire à la direction générale de la firme automobile Simca, mais elle écrit que « cela ne [l’]empêche pas de considérer le cinéma comme [son] milieu et de travailler pour lui19 ». De fait, elle peut désormais compter sur une série de contacts dans le milieu de la distribution cinématographique. En décembre, elle soulique qu’« avec un de [ses] anciens collègues de Gray Film, [elle a] organisé un bureau de traduction (dont [elle] [s]’occupe) et de multicopie (dont il s’occupe). Ce bureau s’appelle, très simplement : Traduction-Copie-Nord20 » ; le siège se trouve dans le Xe arrondissement, rue de l’Aqueduc. « J’ai réuni un groupe de traducteurs “d’origine”, universitaires, et je voudrais essayer de nous imposer, par la bonté de notre travail, dans le milieu du cinéma21 », précise-t-elle.

5. Agence Traduction-Copie Nord : lettre de présentation avec tarifs spécialement conçus pour le secteur cinématographique (sans date)

Dès les années 1940, Pascazio avait effectué de prestigieuses traductions. Comme elle le signale elle-même plusieurs fois, elle est l’autrice des sous-titres français du Voleur de bicyclette (Ladri di biciclette, 1948) de Vittorio De Sica, qu’elle a réalisés en mars 1949 « pour la soirée de gala à la salle Pleyel », et pour lesquels elle a « reçu les compliments de De Sica22 ». Dans la même lettre, elle présente son travail au producteur Robert Chabert, de Francinex, et ajoute : « Après les sous-titres français d’un film avec De Sica, Sperduti nel buio23 [Perdu dans les ténèbres] (de peu de valeur), on m’a confié 2 films sur les 6 présentés par la France à Venise [en septembre 1950] pour en préparer les sous-titres italiens : La Ronde et La Vie commence demain. Je les ai faits avec passion (comme pour Le Voleur de bicyclette), et j’ai eu la joie de recevoir une lettre enthousiaste de Max Ophuls. Vous la trouverez ci-joint24. »

Traduire pour la diffusion du cinéma italien en France

Dans les années 1950, elle contribue par son travail à la distribution en France de plusieurs dizaines de films italiens. Le 8 et le 30 mai 1950, elle livre la traduction des dialogues de Dimanche d’août (Domenica d’agosto, Luciano Emmer, 1950) et du Mensonge d’une mère25 (Catene, Raffaello Matarazzo, 1949) à M. Falcone, de la Lux Film de Paris. Fait intéressant, dans ces deux films, les noms des personnages principaux sont traduits en français, alors qu’habituellement, la francisation des noms n’est pas systématique dans les doublages de films italiens.

6 et 7. Première et deuxième pages de la traduction française des dialogues du film italien "Dimanche d’août" (1950), avec notes manuscrites de Gladys Pascazio. On remarque la francisation des noms italiens des personnages.
8. Première page de la traduction française des dialogues du film italien "Le Mensonge d’une mère" (ici le titre italien est encore traduit littéralement : "Chaînes") (1949), avec notes manuscrites de Gladys Pascazio

Le 14 octobre 1952, elle facture à M. Heinz26, de Linguasynchrone-Entreprises cinématographiques (Paris), le contrôle sur Moviola d’une partie des dialogues du Fils de personne (I figli di nessuno, Raffaello Matarazzo, 1951), ainsi que la transcription dactylographiée des textes manquants.

9. Facture de Gladys Pascazio à M. Heinz, de Linguasynchrone-Entreprises cinématographiques (14 octobre 1952), avec liste de ses interventions pour "Fils de personne" ("I figli di nessuno", Raffaello Matarazzo, 1951)

Pour la transcription à la Moviola, elle emploie la sténographie, qu’elle pratique tant en italien qu’en français27. Le violent mélodrame Chair inquiète (Carne inquieta, Silvestro Prestifilippo, 1952), dont l’action est située en Calabre, pouvait intéresser la France en raison de la présence de Raf Vallone, à l’époque bien connu de ce côté-ci des Alpes : Pascazio traduit en français la bande-annonce, le synopsis et les dialogues28.

Ce fonds contient également des dossiers sur des « projets de films ». Par exemple, Pascazio traduit en français, pour la Gray-Film, trois textes de deux ou trois pages chacun, qui s’intitulent En gondole dans Venise, Impressions vénitiennes et Verres et dentelles à Venise, et qui semblent constituer un commentaire en voix off de documentaires sur la cité des Doges29. On trouve aussi trois brefs scénarios30, toujours traduits de l’italien vers le français, de saynètes portant le titre de chansons du répertoire napolitain classique, probablement destinées à devenir des courts-métrages musicaux ou des épisodes de films, produits par Excelsa et distribués par Minerva : Fenestrella illuminata a Marechiaro, ’Na sera ’e maggio et Comme facette mammeta31. Dans les trois cas, la musique est de Carlo Innocenzi, la photographie de Carlo Tiezzi et la réalisation de Pietro Francisci. Il reste à déterminer si cette traduction a été commandée en vue d’une éventuelle distribution en France de ces projets pourtant fortement liés à la culture napolitaine.

Parmi les divers clients de Pascazio, on trouve la Commission de censure du Centre national de la Cinématographie (CNC), pour laquelle elle effectue également des traductions simultanées en salle de projection. En août 1954, se trouvant dans l’impossibilité de se présenter à une projection, elle écrit à un collègue pour lui demander de la remplacer, étant donné qu’« [i]ls y tiennent beaucoup, parce que, sans interprète à la Censure, le travail serait complètement inutile32 ». Il apparaît clairement que ce collègue n’est pas un expert, puisque Pascazio ajoute quelques instructions pour « L’interprétation en censure », qui « consiste en ceci : on passe le film sur l’écran et tu le traduis au fur et à mesure pour que les spectateurs français (les censeurs) comprennent. Surtout, dans chaque phrase, traduis la moitié ; et saute une phrase sur deux (en choisissant les plus importantes) car tu ne peux pas aller aussi vite que le film33 ». Elle lui offre 1 500 francs sur les 13 000 qu’elle recevra forfaitairement pour la traduction simultanée et pour la traduction écrite des dialogues, du générique et du film-annonce de La Flambée (La fiammetta, Alessandro Blasetti, 1952), film historique produit par la Cines et adapté du drame homonyme d’Henry Kistemaeker, avec Amadeo Nazzari et Eleonora Rossi Drago. Bien que la version française des dialogues ait été également fournie à la Commission de censure, la traduction simultanée s’avère essentielle pour une première vision. Et, ce qui ne manque pas d’intérêt, nous pouvons présumer que, souvent (Pascazio en parle comme d’une pratique courante), le degré de précision et le choix de ce qui est traduit durant la projection procèdent en grande partie du seul choix de l’interprète.

Traduire pour les coproductions franco-italiennes

L’autre phénomène particulièrement représenté dans ce fonds est celui des coproductions franco-italiennes34. Par exemple, Pascazio a traduit en français le générique et les dialogues du doublage de La Belle Romaine (La romana, Luigi Zampa, 1954) pour le coproducteur français, l’Omnium International du Film, qui, étrangement, n’est pas indiqué dans la transcription en français du générique. Il manque également la mention « coproduction italo-française », pourtant obligatoire d’après les accords officiels35. Les traductions de lettres et de contrats fournissent plusieurs informations sur l’activité de coproduction, au moment même où celle-ci prend officiellement forme.

Ainsi ces documents nous renseignent-ils sur les procédures et les priorités nécessaires à la rédaction des dossiers destinés à l’attribution au film de sa nationalité, conformément aux accords franco-italiens du 19 octobre 1949, premiers du genre en Europe dans une forme aussi complète et officielle. Mais ils contiennent aussi des informations sur des cas particuliers. En avril 1950, la Minerva de Rome – qui produit à travers sa filiale Excelsa Film – écrit au coproducteur français, encore l’Omnium International du Film, au sujet de « la reconnaissance officielle de la coproduction franco-italienne pour notre film La Porteuse de pain36 ». Les producteurs italiens demandent d’attendre leur feu vert pour déposer la demande d’homologation auprès du CNC, car il est fondamental que la conformité soit totale dans toute la documentation « en vue de l’examen de ces pièces qui doit être fait par les Organismes officiels de nos deux Pays, en étroite liaison37 ». C’est sur ce contrat de coproduction, signé par les deux producteurs, que se fonde cette procédure. Il est répété que « votre documentation doit apparaître en tout absolument conforme à la nôtre. Veuillez noter que notre Direction de la Cinématographie transmettra directement un double de cette documentation que nous aurons présenté au Centre National de la Cinématographie Française et que celui-ci devra effectuer son contrôle avec la documentation que vous lui aurez soumise pour en vérifier la conformité38 ». Le réseau serré des vérifications croisées obligeait les coproducteurs à la ponctualité et à la transparence. On demande en outre la rédaction d’un contrat temporaire de distribution, qui deviendra caduc au moment où la coproduction sera approuvée, et qui sera remplacé par les termes contenus dans le contrat de coproduction lui-même. Le premier est donc un contrat nécessaire, mais transitoire, et seul le contrat de coproduction fera foi.

Un autre courrier relatif au même film fournit le titre et le nom du réalisateur du film « jumeau ». Ce jumelage est une nouvelle disposition qui, précisément à partir des accords de 1949, est d’une importance fondamentale : sans lui, la coproduction ne peut être agréée39. La lettre est accompagnée d’une copie, toujours en français, de la demande d’homologation de la coproduction, déposée par M. Antonio Mosco de l’Excelsa Film à la Direction générale du Spectacle auprès de la Présidence du Conseil et datée du 31 octobre 1949, soit quelques jours seulement après la signature du premier accord organique de coproduction entre l’Italie et la France. Dans cette requête, il est précisé que le « deuxième film prévu en coproduction et en contrepartie du film sous rubrique, sera réalisé en France dans le courant de l’année 1950 […] [et] aura lui aussi un caractère international et une grande valeur40 ». Il s’agit de Demain est un autre jour (Domani è un altro giorno, 1951), qui sera réalisé par Léonide Moguy. Est également fournie la liste des documents qui doivent être joints à la requête : le scénario du film, la liste complète du personnel technique et artistique, le plan de travail, le devis financier et la copie conforme du contrat de coproduction. Pourtant, malgré son metteur en scène français d’origine russe, Demain est un autre jour deviendra un film italien et non une coproduction. Pascazio a été engagée pour traduire de l’italien les lettres et la demande d’homologation. Elle acquiert ainsi une connaissance très précise des procédures exigées par les deux États pour les coproductions franco-italiennes au début des année 1950.

10 et 11. Traduction française de la demande de reconnaissance de "La Porteuse de pain" comme coproduction franco-italienne, déposée par le producteur italien Excelsa Film à la Direction générale du spectacle en Italie (31 octobre 1949)

Un fonds qui reste à explorer

Les pistes de recherche qui peuvent s’ouvrir à partir de ce fonds sont multiples, grâce aux nombreuses informations relatives aux techniques cinématographiques, aux pratiques de production et de distribution, à l’importance des coproductions franco-italiennes dans les années 1950, domaines dans lesquels la traduction joue un rôle capital. Mettre en lumière le travail de figures comme Gladys Pascazio permet d’approfondir sensiblement la connaissance que nous avons de ces échanges, tant il est vrai que la langue du cinéma européen était – et reste – la traduction.

Ce texte est une version remaniée et largement augmentée d’un article publié en italien sous le titre « Found in translation. Gladys Pascazio: transfert culturali italo-francesi nel lavoro di una traduttrice per il cinema (1947-1961) », dans Federico Pierotti, Paola Valentini, Federico Vitella (dir.), « Cinema italiano: pratiche e tecniche », Quaderni del CSCI [Centro di Studi sul Cinema Italiano]: rivista annuale di cinema italiano, no 13, 2017, p. 209-214.

L'Écran traduit remercie la Cinémathèque française, tout particulièrement Régis Robert, chef du service Archives et Espace chercheurs, d'avoir permis la publication des documents du fonds Gladys Pascazio qui illustrent cet article, dont la reproduction a bénéficié du soutien financier de l'Unité mixte de recherche "Théorie et histoire des arts et des littératures de la modernité" (CNRS, Université Sorbonne Nouvelle, ENS) et de l'ATAA.

L’autrice

Chercheuse associée à l’UMR Thalim (Théorie et histoire des arts et des littératures de la modernité) et chargée de cours en histoire du cinéma à l’École du Louvre, Paola Palma est spécialiste des coproductions cinématographiques franco-italiennes. Elle travaille également sur l’acteur de cinéma et sur les relations du cinéma avec la littérature.

Sociétés de production pour lesquelles Gladys Pascazio a travaillé comme traductrice (sélection)

Sociétés italiennes (avec siège à Rome) : Atlantis Film, Cigno Film, Excelsa Film, Jolly Film, Lux Film, Minerva Film.

Sociétés françaises (avec siège à Paris) : Cocinex-Cocinor, Continental Films, Cormoran Films, Dispat Films, Les Films Ariane, Les Films Marceau, Filmsonor et Francinex, Gray-Film, Hakim-Paris Film Production, Isarfilm, Majestic Films, Omnium International du Film, Les Productions Fox-Europa, SNC (Société Nouvelle de Cinématographie), Société des Films Sirius, Zenith Films, ainsi que le laboratoire de sous-titrage Titra Film.

Films traduits par Gladys Pascazio (sélection)

Films français traduits en italien (titre original suivi du titre de la version italienne)

Le Bienfaiteur (Amore proibito, Henri Decoin, 1942) : doublage.

Douce (Evasione, Claude Autant-Lara, 1943) : doublage.

Florence est folle (Quella che tu non sei, Georges Lacombe, 1944) : doublage.

Lady Paname (Scandalo alla ribalta, Henri Jeanson, 1949): correspondance ; détection ; liste des sous titrages ; texte de la bande-annonce ; texte du générique de film

Paysans noirs (Georges Régnier, 1948) : traduction d’un texte sur le film pour l’Union générale de publicité, probablement pour le passage du film au festival de Venise en 1948.

La Ronde (Max Ophuls, 1950) : sous-titres italiens, pour le festival de Venise, 1950.

La Vie commence demain (Nicole Vedrès, 1950) : sous-titres italiens, pour le festival de Venise, 1950.

Demain est un autre jour (Domani è un altro giorno, Léonide Moguy, 1951) : traduction en français de lettres et documents portant sur un projet – qui n’a pas abouti – de coproduction avec l’Italie avec Minerva Film et Excelsa Film.

La Table aux crevés (La domenica non si spara, Henri Verneuil, 1951) : continuité dialoguée ; note.

Carnaval (Henri Verneuil, 1953) : sous-titres italiens41.

Des gens sans importance (Appuntamento al chilometro 424, Henri Verneuil, 1955) : correspondance et document contractuel.

La Vie de Jésus (Yves Gibeau, 1951) : détection.

Les Amants de minuit (Gli amanti di mezzanotte, Roger Richebé, 1952) : transcription.

Les Évadés (Gli evasi, Jean-Paul Le Chanois, 1955) : transcription.

Les Hussards (La piccola guerra, Alex Joffé, 1955) : transcription et continuité dialoguée.

Films italiens traduits en français (titre original suivi du titre de la version française)

La morte civile (La Mort civile, Ferdinando Maria Poggioli, 1942) : traduction des dialogues.

Un uomo ritorna (Un homme revient, Max Neufeld, 1946) : contrôle à la Moviola des dialogues italiens et traduction des dialogues en français.

Nostalgia napoletana (Mario Bava, 1947) : liste des sous-titrages ; texte de présentation ; texte du générique de film.

Sperduti nel buio (Perdu dans les ténèbres, Camillo Mastrocinque, 1947) : sous-titres.

Ladri di biciclette (Le Voleur de bicyclette, Vittorio De Sica, 1948) : sous-titres.

Catene (Le Mensonge d’une mère, Raffaello Matarazzo, 1949) : traduction des dialogues pour le doublage.

Domani è troppo tardi (Demain il sera trop tard, Léonide Moguy, 1949) : traduction des dialogues italiens pour Francinex (M. Pugliesi), pour présenter le film à la censure42.

Domenica d’agosto (Dimanche d’août, Luciano Emmer, 1950) : traduction des dialogues43.

Francesco, giullare di Dio (Les Onze Fioretti de François d’Assise, Roberto Rossellini, 1950) : liste des dialogues.

Domani è un altro giorno (Demain est un autre jour, Léonide Moguy, 1951) : détection ; texte du générique.

Il Cristo proibito (Le Christ interdit, Curzio Malaparte, 1951) : correspondance ; synopsis.

I figli di nessuno (Fils de personne, Raffaello Matarazzo, 1951) : contrôle sur Moviola d’une partie des dialogues et transcription dactylographiée des textes manquants dans la version italienne.

Carne inquieta (Chair inquiète, Silvestro Prestifilippo, 1952) : bande-annonce, synopsis et dialogues.

La fiammetta (La Flambée, Alessandro Blasetti, 1952) : traduction simultanée et écrite des dialogues, traduction du générique et du film-annonce.

Il tenente Giorgio (Raffaello Matarazzo, 1952) : correspondance, document comptable, note, synopsis.

Lo sceicco bianco (Le Sheik blanc, Federico Fellini, 1952) : continuité dialoguée.

Pane, amore e fantasia (Pain, amour et fantaisie, Luigi Comencini, 1953) : liste des dialogues.

Siamo donne (Nous, les femmes, Alfredo Guarini, Gianni Franciolini, Roberto Rossellini, Luigi Zampa et Luchino Visconti, 1953) : liste des sous-titrages, texte de la bande-annonce.

Cavalleria rusticana (Duel en Sicile, Carmine Gallone, 1953) : générique technique, liste des dialogues.

La grande speranza (Tonnerre sous l’Atlantique, Duilio Coletti, 1954) : détection, générique technique.

Il mattatore (L’Homme aux cent visages, Dino Risi 1960) : liste des sous titrages, texte de la bande-annonce.

Films étrangers traduits en italien (titre original suivi du titre de la version italienne)

Now and Forever (Rivelazione, Henry Hathaway, États-Unis, 1934) : doublage.

Maskovanà Milenka (L’amante mascherata, Otakar Vávra, Tchécoslovaquie, 1940) : doublage.

Idilio en Mallorca (Idillio a Majorca, Max Neufeld, Espagne, 1942) : doublage.

Coproductions franco-italiennes mentionnées dans le fonds Pascazio, CF, Pascazio, 80-B4 (sélection)

La Porteuse de pain (La portatrice di pane, Maurice Cloche, 1949) : traduction en français de lettres et de la demande d’homologation de la coproduction du producteur italien.

Né de père inconnu (I bastardi, Maurice Cloche, 1950) : traduction en français du découpage italien.

Parigi è sempre Parigi (Paris est toujours Paris, Luciano Emmer, 1951) : traduction en français des dialogues italiens44.

Adorables Créatures (Quando le donne amano, Christian-Jaque, 1952) : correspondance, document comptable.

Spartaco-Il gladiatore della tracia (Spartacus, Riccardo Freda, 1953) : traduction en français du « scénario » italien45.

Thérèse Raquin (Teresa Raquin, Marcel Carné, 1953) : traduction en italien du découpage français.

Jeunes mariés (Sposata ieri, Gilles Grangier, 1953) : liste des dialogues.

La signora senza camelie (La Dame sans camélia, Michelangelo Antonioni, 1953) : continuité dialoguée, correspondance, document comptable.

L’Amour d’une femme (L’amore di una donna, Jean Grémillon, 1954) : correspondance, synopsis.

Nana (Nanà, Christian-Jaque, 1954) : transcription.

Il paese dei campanelli (Ces voyous d’hommes, Jean Boyer, 1954) : traduction en français du résumé du scénario (22 pages).

La romana (La Belle Romaine, Luigi Zampa, 1954): traduction des dialogues.

Mam'zelle Nitouche (Santarellina, Yves Allégret, 1954) : continuité dialoguée, document comptable, note, synopsis.

Giorni d’amore (Jours d’amour, Giuseppe De Santis, 1954) : sous-titres français.

Il grido (Le cri, Michelangelo Antonioni, 1957) : peut-être liste des sous-titres, note, texte de la bande-annonce, mais le dossier concerné réunit ce film et Nata di marzo (ci-dessous). Il est donc difficile de savoir auquel des deux films ces documents se rapportent.

Nata di marzo (Les Époux terribles, Antonio Pietrangeli, 1957) : voir ci-dessus.

Écran Traduit N°7