Le sous-titre révélateur : inaudibilité et traduction audiovisuelle

2e partie. Pour la première partie, c'est par ici.

Inaudibilité partielle (1) : le bar de la piscine

« L’inaudibilité partielle », remarque Barthélemy Amengual, « est, très tôt chez Godard, un facteur esthétique1 ». En effet, tout au long de sa carrière, le réalisateur a utilisé plusieurs stratégies pour couvrir des morceaux de dialogue : conversations se chevauchant, musique et bruit (diégétiques ou extradiégétiques). Dans de tels cas, les sous-titres interlinguistiques peuvent permettre aux spectateurs étrangers de comprendre ce qui n’est pas aisément perçu par des oreilles francophones. Alan Williams a noté que « chez Godard, alors qu’un spectateur [francophone], dans le cas de sons enregistrés in situ, a souvent du mal à déchiffrer les dialogues, les personnages paraissent plus accoutumés que lui aux bruits urbains. Grâce aux sous-titres, un spectateur étranger a l’impression de comprendre plus facilement que s’il était en situation2. »

Vers le début de Week-end (1967), Godard utilise une très forte musique extradiégétique pour couvrir, par endroits, une conversation. Assise sur une table, en sous-vêtements, Corinne (Mireille Darc) raconte à son amant une aventure sexuelle inspirée des deux premiers chapitres de L’Histoire de l’œil (1928) de Georges Bataille. Antoine Duhamel, compositeur de la musique du film, explique :

« [Godard] tenait absolument à une intervention musicale sur le long plan-séquence où Mireille Darc dit un texte érotique de Bataille. Là, je devais tenir compte de son minutage total. D’où un lamento de neuf minutes composé pour masquer certaines phrases, ce qui évitait les problèmes de censure. Alors qu’elle parle de partouzes, le lamento traduit son dégoût pour la débauche. À l’arrivée, tous les thèmes sont placés là où ils devaient être. Mais parfois cassés, hachés3… »

Effectivement, cette scène ne manqua pas d’attirer l’attention des censeurs. Le 17 décembre 1967, la Commission de contrôle interdit le film aux moins de 18 ans, « en raison du caractère obscène de certaines séquences, et notamment du récit fait au début du film par la principale protagoniste dont le sens est nettement perceptible, en dépit des effets de bruitage4 ». On peut supposer que la démarche de Godard ne consistait pas seulement à éviter le couperet de la censure ou, en tout cas, qu’il n’a pas jugé bon de modifier la bande son après l’avis de la Commission. Les montées intermittentes de cette musique (totalement absente à d’autres moments) produisent un effet qualifié de « voyeurisme auditif » par Amie Siegel : « Dans cette scène, Godard parvient à un effet merveilleux : un équivalent auditif, en quelque sorte, d’un phénomène (le voyeurisme) habituellement dominé par le regard, par la vision. À cet instant-là, pour une fois, c’est le son qui domine5. » De son côté, Abé Mark Nornes reprend cette notion dans le chapitre de son livre Cinema Babel (2007) qu’il consacre au doublage :

« Week-end sortit aux États-Unis en VO sous-titrée, et la première scène du film montre l’une des vertus potentielles de cette forme barbare de traduction qu’on appelle le doublage. L’actrice principale est assise sur une table, très peu vêtue, et évoque ses aventures sexuelles passées. Au grand désarroi du public, des bruits de fond, des effets sonores et une musique étrange vont crescendo puis diminuendo, obligeant les spectateurs à se concentrer sur le récit érotique du personnage. Alors que Godard souligne dans ce passage le phénomène du “voyeurisme auditif”, les sous-titres, ironiquement, retranscrivent parfaitement les paroles prononcées. À chaque fois que je visionne ce film, bien que cela m’en coûte de l’admettre, je souhaite en mon for intérieur le voir en version doublée, et je me demande si Godard me pardonnerait, comprendrait ce que je ressens6. »

Nous sommes là au cœur du problème : dans ce genre de situation, que retranscrire par le biais des sous-titres ? Peut-on « trop » traduire ? Cela paraît paradoxal, dans la mesure où les sous-titres sont souvent critiqués parce qu’ils ne traduisent « pas assez ». La retranscription intégrale des propos, même ceux qui sont difficilement audibles, pourrait être perçue, bizarrement, comme une forme de perte par rapport au ressenti du spectateur de la version originale. On peut néanmoins soutenir que d’autres pertes peuvent exister à différents niveaux lors de la traduction d’une œuvre audiovisuelle, notamment dans la façon de parler d’un locuteur. Il n’est pas toujours possible de transposer certains aspects : accents régionaux, bégaiements… L’ouïe, dans ce genre de cas, peut donner des indications, pour peu que l’on ait une certaine familiarité avec les sonorités de la langue d’origine. De la même manière, un spectateur peut intégrer l’information qu’un son couvre les paroles, sans que les sous-titres ne répercutent le brouillage en question. D’ailleurs, un point de vue datant de la sortie du film en témoigne ; à l’opposé de Nornes, Andrew Sarris, le critique du Village Voice, exprima sa satisfaction de revoir le film sous-titré :

« Lorsque j’ai vu Week-end [au festival de Berlin], le dialogue de Mireille Darc, riche en descriptions, était inaudible sur la bande son, comme si Godard dissimulait les détails les plus crus pour créer un effet plus ritualiste. Dans la version maintenant visible à New York, les sous-titres transmettent un message clair, cru, et produisent donc un effet plus sensuel et frappant7. »

Week-end (1967), DVD Gaumont, 2010, sous-titres anglais non signés

Aussi étrange et fascinante que puisse paraître cette scène de Week-end, un plan d’Une femme mariée est encore plus déroutant. « [Dans mes films], on entend l’essentiel », déclarait Godard en 1964, ajoutant : « Moi, je trouve qu’il ne faut s’intéresser qu’à l’essentiel et pas au superflu8. » Cette démarche sélective se vérifie pleinement ici. Après une séance de photos, au bord d’une piscine, le personnage principal, Charlotte (jouée par Macha Méril), tue le temps en prenant un verre au bar. Derrière elle se trouvent deux jeunes filles, qui sont identifiées, par le biais de gros plans sur des phrases imprimées, comme « celle qui ne sait pas », assise à droite et jouée par Margaret Le-Van, et « celle qui sait » assise à gauche et interprétée par Véronique Duval. Cette dernière donne à son amie des conseils sur ce qu’il faut faire lors de la première nuit avec un garçon, d’après son expérience personnelle.

J’ai relevé onze textes faisant allusion à ce qui se passe dans ce plan, avec des descriptions parfois très différentes9. En effet, comme l’écrit avec justesse Adrian Martin,

« il est facile de décrire erronément ce qui se passe réellement dans les films de Godard, au niveau de l’image et de la bande son. Au cours du processus de description, il est tentant, en particulier, de normaliser les films, d’“égaliser” (comme on le dit en matière d’enregistrement du son et de mixage) les différents éléments qui coexistent dans un état aussi fragmenté et libre de toute attache. De nombreux commentaires sur Godard inventent des intrigues claires et cohérentes, des rapports entre les choses, des relations causales, là où il n’y a rien de tout cela10. »

On peut néanmoins affirmer trois choses avec certitude : on voit les deux filles au premier plan, pendant que Charlotte, à l’arrière-plan, écoute ; on entend des bruits extérieurs ; et des mots (en français) apparaissent régulièrement à l’écran, au niveau du dos de Charlotte. Enfin, au niveau formel, il s’agit d’un plan fixe, qui dure 1 minute 28, à 25 images par seconde (64’32”–66’00” sur la copie DVD que je prends pour référence [Gaumont, 2010]).

Deux autres informations permettent de mieux comprendre le contexte : 1) d’après le rapport de scripte, cette séquence, tournée le 8 juillet 1964, est constituée de « texte improvisé11 » ; 2) la présence de ces sous-titres ne doit rien à la censure, puisqu’ils sont mentionnés dans le script déposé au CNC par les producteurs au moment de la demande de visa et correspondant au premier montage du film12. Godard se déclara également d’accord, par concession à la censure, pour « supprimer quelques sous-titres de la séquence entre les deux jeunes filles à la piscine13 » (sans qu’on sache si cela fut suivi d’effet, ce dont on peut douter étant donné le nombre de sous-titres de la version finale). Ces sous-titres faisaient donc partie de la version considérée comme terminée par Godard, avant l’avis des censeurs.

Deux questions se posent : à quel point la discussion entre les deux filles est-elle audible ? Quelle fonction remplissent les sous-titres ? Le scénario publié par L’Avant-scène cinéma (ci-après : ASC) indique que la conversation est « inaudible, en raison du bruit amplifié du bar14 ». Dans son résumé du film, Julia Lesage la trouve « presque inaudible ». Deux commentateurs estiment qu’» on perçoit l’essentiel des textes » (Janin-Foucher) ou qu’» on entend suffisamment pour pouvoir comparer avec les sous-titres » (Bragin). Pourtant, après plusieurs visions du film en salles, je ne peux qu’être en désaccord : il est difficile de saisir les mots exacts qu’échangent les filles, même en tendant l’oreille.

On peut établir le statut exact des sous-titres français en les comparant avec les propos des filles. Il s’agit là d’un résumé, mais pas avec les mêmes mots, et pas aux mêmes moments. Certains mots, mais pas tous, peuvent être attribués à l’une ou l’autre des filles. Comme les sous-titres apparaissent sur le dos de Charlotte, certains commentateurs ont estimé qu’ils représentent « ses pensées » (Rector) ou « [son] interprétation de la discussion » (Saylor). Mais de façon générale, c’est l’hypothèse du résumé qui est la plus répandue (ASC, Bragin, Lesage, Levassor, Meyer).

Inaudibles sur les copies 35 mm du film, les paroles des adolescentes sont beaucoup plus perceptibles sur DVD, en raison sans doute d’un mixage trop zélé. Cela a amené un certain nombre d’adaptateurs à aller au-delà de ce qu’un spectateur français est censé percevoir (ou l’était en 1964). En effet, en sous-titrant partiellement cette conversation, le réalisateur a de toute évidence mis l’accent sur l’aspect visuel du plan comme moyen de véhiculer le dialogue, plutôt que sur la bande son. Les sous-titrages nos 2, 2bis et 315 tentent tous trois de traduire l’intégralité de la discussion, ce qui paraît absurde. Par rapport à Week-end, la présence de sous-titres français montre pourtant bien l’importance que le réalisateur accorde au « résumé » qu’il a lui-même fourni.

À cela vient s’ajouter un autre problème : la coexistence des sous-titres anglais traduisant le dialogue et de ceux… traduisant les titres français. Cela perturbe indéniablement la lecture. Le comble est atteint par le sous-titrage no 2bis, qui, sur un même sous-titre, indique à la fois le contenu d’un sous-titre français (sur la ligne supérieure) et la suite du dialogue (sur la ligne inférieure) [voir illustration ci-dessous]. Dans le sous-titrage 2ter, l’adaptateur a sagement choisi de ne traduire que les sous-titres français, mais en les interprétant comme exprimant les pensées de Charlotte (comme dans les sous-titrages n° 2 et 2bis), ce qui introduit un récit absent du texte de départ, en conjuguant les verbes employés au passé (voir tableau n° 3).

Enfin, le sous-titrage n° 1 est totalement inexistant dans cette séquence : ni les sous-titres français ni le dialogue ne sont traduits, ce qui est très étonnant et décevant.

Inaudibilité partielle (2) : le bar de Vendredi soir

Je voudrais évoquer un dernier cas d’inaudibilité partielle, qui n’est du reste pas sans lien avec Une femme mariée et le travail de Jean-Luc Godard. Dans un livre intitulé Subtitles: On the Foreignness of Film (2004), la cinéaste Claire Denis s’entretient avec son confrère canadien Atom Egoyan, co-coordinateur de l’ouvrage. La discussion porte sur une scène du film Vendredi soir (2002), qu’elle a réalisé d’après un roman d’Emmanuèle Bernheim16 (co-scénariste du film avec C. Denis). En voici un extrait :

« Claire Denis : Il y a une scène où Valérie est dans sa voiture. Elle regarde ce qui se passe dans le café : l’homme boit et parle à la fille qui joue au flipper. Elle est à l’extérieur mais elle veut être à l’intérieur ; et c’est quelque chose qui était, qui est ma vie.

Atom Egoyan : […] Dans cette scène, on peut à peine entendre le dialogue en français. Mais hier soir, quand j’ai regardé le film, les sous-titres [anglais] restituaient avec une clarté absolue ce qui était dit.

CD : En fait, j’étais contre. J’ai demandé au type qui a fait les sous-titres si on pouvait éventuellement les imprimer avec une lettre ou un mot en moins, de façon artistique, en quelque sorte… Et il m’a répondu que ça n’existait pas en sous-titrage. Soit on met des sous-titres, soit on n’en met pas.

AE : Pourquoi fallait-il sous-titrer cette scène, alors ?

CD : Je ne sais pas. Je n’ai pas osé le dire. […]

AE : […] Cela aurait peut-être été l’exemple parfait d’une situation où l’on choisit de ne pas du tout sous-titrer.

CD : Exactement. C’était la première fois que je travaillais avec le type qui a fait les sous-titres. D’habitude, je travaille avec quelqu’un d’autre. J’ai sans doute eu peur. Je ne me suis pas assez fait confiance, je n’ai pas osé ne mettre aucun sous-titre. C’est quelque chose que je regrette maintenant17. »

La version du « type qui a fait les sous-titres », dont Claire Denis ne donne même pas le nom, est assez différente18. Première divergence factuelle : avant d’écrire les sous-titres anglais de Vendredi soir, Ian Burley s’était déjà occupé de ceux de deux autres films de Claire Denis, J’ai pas sommeil (1994) et Vers Nancy (court-métrage, 2002). Pour Vendredi soir, il a travaillé sur une version non mixée, avant l’été 2002. La scène décrite étant alors audible, il l’a sous-titrée normalement. Parti en vacances, il a reçu un appel de la réalisatrice lui expliquant que le mixage de cette scène avait été refait : il lui a donc conseillé d’enlever les sous-titres correspondants. Un certain temps s’est écoulé, jusqu’à ce qu’il ait un choc en lisant l’entretien dans le livre Subtitles.

La scène en question dure moins de trente secondes, pour un total de cinq sous-titres. Le contenu même du dialogue (absent du roman de départ) est objectivement anodin : l’homme donne à la jeune fille des conseils pour jouer au flipper. Il est assez difficile de comprendre l’importance que la réalisatrice attache à cet épisode, même si, selon elle, dans ce film avec un scénario aux dialogues « presque totalement absents », « quand un dialogue est rare, il prend une autre valeur19 ». Les regrets de Claire Denis paraissent, de plus, d’une profondeur toute relative : les sous-titres anglais avaient été réalisés pour la carrière du film à l’étranger, notamment en festivals (il a été montré à Venise), mais rien n’empêchait la réalisatrice de les modifier pour la sortie en DVD (l’édition française, chez Arte Vidéo, avec sous-titres anglais, date de 2007).

Il est surtout regrettable que son témoignage ait été repris dans plusieurs recensions de Subtitles, dont certaines noircissent le rôle prétendument joué par l’auteur des sous-titres20. Tout récemment, on le trouve cité dans un article de Niels Niessen consacré à Film Socialisme (2010), le dernier long-métrage en date de Jean-Luc Godard21. L’auteur examine notamment les sous-titres en « Navajo English » élaborés par le réalisateur pour la projection de son film au festival de Cannes : il s’agissait de sous-titres apparemment en « petit nègre », composés de cinq mots par sous-titre et résumant de façon extrêmement lapidaire les dialogues et les inscriptions écrites apparaissant à l’écran (cartons, etc.)22. Niessen n’a pas tort de voir dans ce geste une « critique de la pratique même du sous-titrage » (p. 6). Il cite ensuite un passage de l’entretien avec Claire Denis, puis poursuit en disant que « parfois, les sous-titres traduisent trop » (p. 7). Cependant, dans le cas de Vendredi soir, on est en droit de se demander ce qu’un sous-titrage partiel aurait apporté, plutôt que l’absence totale de sous-titres. La démarche de Godard dans son rapport au sous-titrage, aussi contestable qu’elle puisse paraître, est au moins plus cohérente.

Inaudibilité – qualité

Si les cas de figure abordés jusqu’ici sortent de l’ordinaire, il faut évoquer à présent un aspect plus simple, plus prosaïque, du rapport entre l’audition et le sous-titrage : qu’entend le traducteur ? En effet, dans un grand nombre de cas, les sous-titres anglais des deux films que j’ai particulièrement étudiés (Une femme mariée et Le Gai Savoir) ont manifestement été réalisés sans l’appui d’une retranscription, et donc « à l’oreille ». Certes, les scripts publiés ne sont pas totalement fiables, même s’ils sont retranscrits après montage final ; mais leur consultation eût permis d’éviter un certain nombre d’erreurs. C’est assez flagrant dans le cas du Gai Savoir : on peut ainsi, par exemple, lire « moon » au lieu de « lutte » (c’est « lune » qui a été compris) ; « Kimolé » au lieu de « Guy Mollet » ; « males » au lieu de « images » ; « The Dictator » et « The Lamentess » pour « Le Dictateur » et « Lola Montès »… Pour Une femme mariée (sous-titrage n° 3), le nom de Mme Céline (pourtant récurrent) est traduit une fois par « Mme Frégier » et l’auteur a entendu « Je ne vais pas attendre » là où Charlotte dit (puis fait) le contraire. Autant souligner une évidence : la fidélité à ce qui se dit à l’écran dépend, en premier lieu, de cette donnée de base qu’est l’accès à une transcription de bonne qualité.

Sur un plan plus général, les sous-titres anglais « refaits et améliorés » vantés par l’éditeur Eureka (sous-titrage n° 3, 2009) sont-ils meilleurs que ceux de 1965 (sous-titrage n° 1) ? Il n’est pas aisé de répondre de façon tranchée à cette question. Dans le sous-titrage n° 1, l’adaptation elle-même est globalement satisfaisante. En revanche, on relève dans ces sous-titres un certain nombre de défauts, principalement liés à leur côté « daté » : certaines répliques sont omises, même si c’est parfois à bon escient (réponses facilement compréhensibles, par exemple), mais aussi de façon plus dommageable, comme dans le cas des sous-titres français non traduits du « bar de la piscine » ; le découpage des sous-titres ou des lignes n’est souvent pas très heureux ; dans le cas de phrases courant sur plusieurs sous-titres, des points de suspension signalent la fin du premier sous-titre et le début du suivant (convention largement abandonnée aujourd’hui). Enfin, on remarque deux aspects déroutants :

- lorsque des inscriptions sont visibles à l’écran alors qu’on entend des dialogues, elles sont traduites en capitales, sur une ligne de caractères placée au milieu du cadre, tandis que les sous-titres apparaissent plus bas ;

- lorsque l’on entend les pensées de Charlotte, elles sont traduites sous la forme de sous-titres apparaissant progressivement de gauche à droite, puis disparaissant de droite à gauche, comme si les lettres étaient tapées à la machine puis effacées.

Ces deux procédés expérimentaux sont discutables, dans la mesure où ils perturbent la lecture, même si l’effort qu’ils demandent au spectateur peut s’amenuiser à mesure de leur répétition dans le film.

Les sous-titres du DVD édité par Eureka (sous-titrage n° 3) sont indéniablement les meilleurs disponibles sur les DVD anglophones du marché. Fait rare, ils ont d’ailleurs été commentés, quoique parfois avec des précautions oratoires : selon un journaliste, ils « semblent proposer une traduction plus efficace23 », tandis qu’un autre parle de « sous-titres plus consciencieux que d’ordinaire24 ». Assez naïvement, il ajoute, dans un forum de discussion sur Internet, que les sous-titres « font un réel effort pour traduire tout ce qui est pertinent, même si cela veut dire qu’ils n’apparaissent que pendant une demi-seconde, glissant la traduction d’un texte à l’écran au milieu d’une conversation25 » – ce qui soulève ici, incidemment, la question des critères à employer pour juger de la qualité d’un sous-titrage. Ce commentaire souligne aussi, bien qu’involontairement, le principal défaut de ces sous-titres : bien que la traduction soit généralement bonne, ils sont souvent trop littéraux. Ils défilent trop vite et sont difficiles à lire. Le sous-titrage n° 1, lui, est beaucoup plus condensé (voir le tableau 4 pour quelques exemples), même si, bien évidemment, cela seul ne suffit pas à compenser les défauts associés aux sous-titres de 1965.

Conclusion

Sous-titrer plus, est-ce sous-titrer trop ? Mieux ? La réponse, comme on le voit, n’est pas aisée. Les exemples présentés ici peuvent paraître marginaux, mais ils me semblent pertinents dans le cadre de la pratique du sous-titrage, où l’adaptateur, comme on le sait, « s’adapte » à son tour à ce qu’il traduit. On ne peut parler de « quantité » en matière de sous-titrage (traduire ou non) sans évoquer la qualité même des sous-titres et l’information qu’ils véhiculent pour leurs lecteurs.

Dans le corpus étudié ici, celui de l’édition DVD du cinéma d’auteur, on peut regretter que le soin apporté à d’autres aspects (présentation, interactivité, bonus…) ne concerne pas toujours le sous-titrage, quand bien même cela demanderait, on l’a vu, un certain effort au vu des défis particuliers que présentent les œuvres.

Remerciements et précisions

Je remercie Ian Burley, Pierre Chaintreuil et Yann Malherbe (CNC), Frédéric Hervé, Carol O’Sullivan, Andy Rector, Coralie Van Rietschoten et Anne-Lise Weidmann.

Je remercie tout particulièrement Laure Gaudenzi pour m’avoir permis la consultation de la copie d’Une femme mariée conservée à la Cinémathèque Universitaire, ainsi que François Minaudier et Coralie Van Rietschoten pour m’avoir aidé lors de son visionnage.

J’ai présenté une version antérieure (et sensiblement différente) de ce texte, intitulée « Subtitling the Inaudible? Subjectivity in Audiovisual Translation », au 3e colloque Media For All (Anvers, Belgique, 2009), où je représentais l’ATAA.

Peu avant l’achèvement de ce texte, j’ai pris connaissance d’un article abordant « la voix non entendue dans le cinéma sonore » et proposant une première typologie de ce phénomène peu étudié, pour lequel l’auteur propose le nom de « voice-out26 ». Je n’ai malheureusement pas pu en tenir compte pour la rédaction de mon article.

L’auteur

Samuel Bréan, membre du comité de rédaction de L’Écran traduit et secrétaire actuel de l’ATAA, est traducteur d’anglais et d’allemand depuis 2002, dans l’audiovisuel et l’édition. Il a publié des articles dans les revues en ligne Senses of Cinema et InMedia, ainsi que sur le blog de l’ATAA.

Écran Traduit N°2 Article suivant