Übersetzer der bewegten Bilder

Audiovisuelle Übersetzung - ein neuer Ansatz (Małgorzata Korycińska-Wegner)

L’ouvrage de Małgorzata Korycińska-Wegner porte un titre prometteur, que l’on peut traduire littéralement par « Traducteurs d’images en mouvement : une nouvelle façon d’aborder la traduction audiovisuelle ». Il s’agit d’une version remaniée de la thèse soutenue en 2009 par l’auteur sous un intitulé qui reflète peut-être mieux son principal axe de réflexion : Der Übersetzer der bewegten Bilder. Das Drehbuch als Übersetzungsvorlage (« Le traducteur d’images en mouvement. Le scénario comme base de la traduction »).

Ajoutons que cet ouvrage est paru chez Peter Lang dans le cadre d’une série de publications de l’Institut de philologie germanique de l’Université Adam Mickiewicz de Poznań (Małgorzata Korycińska-Wegner étant elle-même chercheuse au sein de cet institut). Cette collection est axée sur les études germaniques, la linguistique et la philosophie, et non spécifiquement sur la traduction.

C’est avec ces éléments à l’esprit qu’il convient d’aborder la lecture d’Übersetzer der bewegten Bilder : d’une part, il s’agit d’un travail résolument universitaire et non du point de vue d’une praticienne de l’adaptation ; d’autre part, l’auteur consacre une place très importante à des considérations qui semblent fort éloignées de la traduction audiovisuelle, pour s’en rapprocher plus franchement dans la seconde partie de son texte.

Le premier chapitre de l’ouvrage constitue ainsi, sur une quarantaine de pages, une longue exposition de notions liées au cinéma : double nature du film comme œuvre d’art et produit économique, évolution et normalisation des genres cinématographiques, espace narratif de l’œuvre filmique, définition du scénario (« partition du film »), etc. De cette partie très générale se dégage la thèse de l’ouvrage : le scénario occuperait une place centrale dans la traduction audiovisuelle et constituerait l’outil par excellence du traducteur. Le terme de « scénario » est à prendre au sens large, puisque Małgorzata Korycińska-Wegner évoque pêle-mêle le scénario avant tournage, le relevé de dialogue ou les ouvrages divers publiés à l’occasion de la sortie en salles du film et contenant, en sus du scénario, des à-côtés tels que des entretiens avec le réalisateur. Ce n’est sans doute pas là l’apport le plus intéressant de l’ouvrage et, si l’auteur décrit ce qu’elle considère comme le « scénario idéal » à confier au traducteur, les caractéristiques qu’elle lui prête laissent parfois perplexe (un scénario indiquant les moments où le public est censé rire, par exemple).

Tout aussi théorique, le deuxième grand chapitre annonce une « approche herméneutique de la traduction audiovisuelle ». Il synthétise en réalité divers travaux de traductologie avant de dresser une nomenclature assez attendue des stratégies de traduction et des contraintes propres au sous-titrage (sans les illustrer d’exemples concrets) à partir des écrits de Henrik Gottlieb et Birgit Nedergaard-Larsen.

Le troisième chapitre présente le corpus de l’ouvrage : le sous-titrage réalisé pour la sortie en salles, en Pologne, de trois DDR-Filme, c’est-à-dire de trois films allemands réalisés après la Réunification de 1990, mais portant un regard rétrospectif sur la vie dans l’ex-République démocratique d’Allemagne. Il s’agit de Sonnenallee (Leander Haussmann, 1999), Good Bye, Lenin! (Wolfgang Becker, 2003) et La Vie des autres (Das Leben der Anderen, Florian Henckel von Donnersmarck, 2006). Un développement sur les genres cinématographiques en Allemagne et le renouveau du cinéma outre-Rhin à la fin des années 1990 est suivi de plusieurs dizaines de pages résumant l’intrigue et les moments-clés de ces films, avant d’évoquer les critiques parues à leur sortie au cinéma.

C’est au milieu de ce troisième chapitre (ce qui nous mène tout de même à la page 114) que l’auteur entre dans ce qui nous semble être le vif du sujet. L’ouvrage devient alors nettement plus intéressant du point de vue de son apport à la réflexion sur la traduction/adaptation audiovisuelle.

En effet, Małgorzata Korycińska-Wegner y analyse de façon passionnante (et exemples à l’appui, cette fois) une série de problèmes de traduction spécifiques aux DDR-Filme et à leur sous-titrage en polonais. On regrette toutefois ici que l’auteur ne fournisse pas systématiquement une retraduction en allemand des sous-titres polonais qu’elle cite. Si la plupart des exemples s’accompagnent d’explications qui permettent de comprendre au moins approximativement les choix de traduction retenus pour les locutions ou termes étudiés, on aimerait avoir une vue d’ensemble de la traduction des passages complets, car l’on reste par moments dans le flou si l’on ne comprend pas le polonais. Il demeure que des questions classiques, telles que l’adaptation de références culturelles ou de termes réputés intraduisibles, apparaissent dans ce chapitre sous un éclairage relativement nouveau, car la question n’est pas «  simplement  » de traduire des dialogues allemands en polonais. L’enjeu consiste aussi à restituer l’univers linguistique si particulier de l’ex-RDA (un univers reconstitué a posteriori et quelque peu artificiellement) dans la langue d’un autre ex-pays de l’Est où le communisme ne s’exprimait pas nécessairement de la même façon.

Plusieurs pages évoquent ainsi la nécessité de prendre en compte le vécu et les connaissances de ce public particulier, par exemple pour choisir de traduire, adapter ou transformer les noms de produits de consommation courante ou certaines réalités du quotidien qui apparaissent dans Good Bye, Lenin!. On s’interroge ainsi sur l’opportunité de conserver le terme « Datsche » en polonais (« datcha », mot russe commun aux deux langues y compris dans son poids symbolique) et l’on constate que le « Plattenbau », immeuble en béton préfabriqué typique de l’ère communiste qui a pourtant son équivalent en polonais, n’est pas rendu dans le sous-titrage.

La propension de la langue administrative est-allemande à utiliser des abréviations et sigles à tout propos est analysée du point de vue des problèmes de traduction qu’elle pose : comment rendre en un sous-titre – généralement bref, rappelons-le – des sigles obscurs tels que « OPK », « OV » et « OTS1 », récurrents notamment dans La Vie des autres ? Citons aussi certains symboles du régime, tels que la désignation métonymique de la Stasi comme « le glaive et le bouclier du Parti » (« Schild und Schwert der Partei »), les fréquentes références au mouvement de jeunesse officiel de la RDA (la FDJ) dans Sonnenallee, ou encore les grades militaires évoqués au fil des dialogues des trois films.

Plusieurs pages sont consacrées à une étude très fine du rendu en polonais des références à l’idéologie marxiste-léniniste qui parsèment les répliques des trois œuvres, par exemple sous une forme caricaturale dans les faux reportages « d’époque » réalisés par le protagoniste de Good Bye, Lenin! pour faire croire à sa mère cardiaque que le Mur et le régime sont toujours d’aplomb. Dans Sonnenallee, l’auteur recense une série de termes typiques de l’idéologie officielle, tels que le « Klassenfeind » (ennemi de classe) ou l’ « antifaschistischer Schutzwall » (« mur de protection antifasciste », le surnom du Mur de Berlin dans la propagande est-allemande). Si des termes équivalents et bien établis existent en polonais, encore faut-il pouvoir les employer en fonction des contraintes de temps et de lisibilité propres au sous-titrage. Le même problème se pose dans Good Bye, Lenin! au sujet du champ lexical récurrent de la conquête spatiale – thème ô combien important de la propagande du bloc de l’Est – dont la traduction en elle-même ne présente pas de difficultés particulières, mais nécessite quelques acrobaties dès lors que l’adaptateur est limité à quelques dizaines de caractères.

Enfin, il est également question, s’agissant de Sonnenallee, de la traduction des termes marquant l’origine sociale et l’âge des protagonistes : argot, mots et accent typiquement (est-)berlinois… sans oublier les variations sur le mot « verboten » (littéralement « interdit  », comme on le sait), qui devient au fil du film un gag linguistique récurrent très difficile à rendre de façon cohérente dans les sous-titres. L’ouvrage se clôt sur une analyse (judicieusement intitulée « ironie pour initiés ») des clins d’œil « typiquement est-allemands » adressés au spectateur et de la possibilité ou non de les rendre en polonais.

En définitive, Übersetzer der bewegten Bilder souffre sans doute d’être pour ainsi dire divisé en deux grandes parties : l’une, très théorique, qui occupe peu ou prou la première moitié et expose thèse et concepts ; l’autre, beaucoup plus concrète, qui tient davantage de l’explication de texte (ou de sous-titres, en l’espèce) et dont on peine parfois à voir le lien avec la première. Les premiers chapitres laissent une impression de confusion dans leur objet même (étude des films ou étude de leur traduction), à vouloir peut-être trop développer des notions souvent étudiées ailleurs. L’analyse détaillée des problèmes de traduction est cependant réellement passionnante et finement menée. Dernier point : le nom des auteurs des trois sous-titrages étudiés est cité comme il se doit, dès l’introduction de l’ouvrage. Pour une fois, la traduction ne « tombe pas du ciel » et l’on ne peut que s’en réjouir.

Małgorzata Korycińska-Wegner, Übersetzer der bewegten Bilder: Audiovisuelle Übersetzung – ein neuer Ansatz, Francfort sur le Main, Peter Lang, 2011, 215 p.

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