Qualités exigées d’une traductrice

Savoir traduire n’est pas suffisant.

Ce qu’on demande à une traductrice, c’est :

- d’être très rapide et surtout exacte (pour remettre le sujet ou le scénario à l’heure dite sur la passerelle de l’avion à la vedette qui n’a passé que quelques heures à Rome, mais qui a dit au producteur ou au réalisateur : « Jolie votre idée, donnez-la moi avant mon départ, je l’emporterai avec moi et je vous donnerai après une réponse. »). Évidemment, si vous n’avez pas fini avant le départ de l’avion, vous êtes responsable d’une catastrophe. Vous et seulement vous.

- d’être bon marché (mais ce n’est pas dit : voir le chapitre Argent).

- de savoir taper à la machine pour donner un travail propre. La présentation est essentielle. On préférera parfois une facilité de lecture au contenu du texte. Quoique l’un de mes « patrons », Tolia Eliacheff, me conseillait de ne PAS savoir taper à la machine, pour ne pas être confinée dans un rôle d’exécutante, de secrétaire.

Bref, on peut être un traducteur remarquable mais lent. Ou bien un traducteur remarquable mais peu porté sur la dactylographie. Ou bien un traducteur bon marché mais pas rapide. Ou bien… ou bien… etc., etc.

J’ai la chance d’avoir un nom qui donne confiance pour le métier que je fais : Marie-Claire Solleville, épouse Sinko (on pense à Kafka). Si je m’appelais : Maria Chiara Solecittà, in Sinco, ça éveillerait la méfiance. Et en plus, je suis née à Paris ! – tout à fait par hasard. Alors que tout mon vocabulaire provient du Lot-et-Garonne où on dit « lisser » pour « repasser »…, « le bourrier » pour « la poubelle » etc., adichas !

Naturellement, on exige d’une traductrice de ne pas avoir de famille, de ne pas avoir d’enfant, de ne pas avoir de vie, de pouvoir passer toutes ses vacances et tous ses week-ends à la machine à écrire quand les autres s’en vont. Lorsqu’un scénariste a terminé son travail, de préférence un vendredi matin, ou un 21 décembre, ou le 1er août, il file vers d’autres cieux. À ce moment-là, le producteur haletant se précipite chez vous et vous supplie de lui remettre la traduction pour le… lundi matin, le 2 janvier ou le 1er septembre1… Si vous lui faites remarquer que ça vous empêche de vivre, il sera visiblement désolé, repentant, etc., mais il n’en démordra pas. C’est le moment, avant de commencer le travail, d’augmenter vos honoraires, vu l’urgence et la perte de vos vacances. Si vous ne le faites pas avant, il s’étonnera à grands cris de vos exigences. Il sera capable de vous dire, et je l’ai entendu de mes propres oreilles : « Tu ne sais pas quel enfer c’était, ces jours-ci à Capri ! » Autrement dit : « Remercie-moi de t’avoir évité les bouchons aux péages et les assauts sur les hydroglisseurs. »

Pourquoi j’utilise souvent « traductrice » et non pas « traducteur ».

Parce qu’un homme, toujours vaniteux, toujours supérieur, veut bien être traducteur « littéraire » mais pas traducteur de « cinéma ». S’il consent à traduire un scénario, en se faisant payer le double (et en essayant de faire faire le travail par une négresse), il s’appellera « adaptateur ». Il ne faut jamais oublier qu’un homme n’est jamais un traducteur vulgaire, mais un « auteur » s’abaissant à faire des traductions.

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