Pitié pour les comédiens

L’auteur n’a pas le droit de raffiner la description de ses personnages, quand il ne sait pas à quel comédien est destiné le scénario. Alors, il brosse cette description en quelques lignes, sinon en quelques mots : « Una bellissima donna » par exemple, pour la protagoniste. Je pense à la comédienne qui lira ça et alors, tout en restant dans le vague, j’en rajoute. Je ne me contente pas d’« une très jolie femme », je mets des compliments plus raffinés, ou plus appuyés, c’est selon.

Mais que ce soit un homme ou une femme, si le rôle est celui d’une nymphomane ou d’un gorille, je ne manque jamais d’ajouter quelque chose sur son regard profond et intelligent ou sur sa délicatesse. S’il s’agit d’une ou d’un intellectuel, je fais allusion à « une sensualité cachée, mais profonde et réelle », surtout si c’est pour interpréter un rôle glacial.

Si c’est un rôle d’idiote ou d’abruti, je parle tout de même d’« élan vers la beauté », enfin n’importe quoi, car plus c’est contradictoire et crétin, mieux c’est.

L’ennui, c’est quand l’un des comédiens interprète le rôle d’un grand-père. Alors là, je lis en italien « il vecchio », « il povero vecchio stanco » ; le vieux, le pauvre vieux épuisé… Et quand je sais que c’est destiné à un homme de soixante ans qui passe d’une conquête à l’autre, je me dis qu’il ne va pas s’en remettre ! Alors je change.

Quand il s’agit d’engager à tout prix un grand comédien pour le rôle d’un vieillard décrépit, le scénariste (à qui l’on dit qu’il faut avoir absolument ce comédien-là pour la distribution) dit dans sa description du personnage : « Un homme de guère plus de quarante ans (le comédien en a vingt de plus !), juvénile et vigoureux, marqué par la vie… » Mais les délicatesses ne sont réservées qu’aux têtes d’affiche. Quand il s’agit d’un comédien de second plan – voir plus haut –, on s’en contrebalance !

À côté de la « bellissima », traitement identique pour un rôle féminin. Je lis : « Une fille d’une affreuse laideur, qui louche, le nez tordu, avec une peau abîmée par la petite vérole… » Quand la malheureuse comédienne recevra ça, on aura beau lui dire que ce n’est qu’une question de maquillage… Et puis, qui aura la bonté de le lui dire ?! Le réalisateur, peut-être le maquilleur, et c’est tout… Pas tendre, le cinéma, pour les petits !

Maintenant que les grandes comédiennes ont la cinquantaine, on leur demande d’interpréter des rôles de mère. Et j’ai alors pu lire dans un scénario qui était destiné à Catherine Deneuve, la présentation d’une « femme d’un certain âge, mais encore attirante »… Ce qui est déjà très aigre, mais par la suite, l’auteur oublie à qui il s’adresse et fonce :

– La vieille répond…

Allez donc ! Heureusement que j’étais là !

Toujours macho quand il y a « la vecchia », pour la mère du protagoniste. Mais quand il y a « il vecchio », c’est surtout pour le grand-père. L’auteur, sans doute père lui-même, doit penser qu’il n’en est pas encore là et son subconscient déclare joyeusement que c’est son épouse qui est décatie. Pas lui !

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