L’évolution de la langue, l’argot

Ça me manquait ! Les sous-Blanc ou les sous-Blier et les sous-Balasko mettent les auteurs italiens en crise. Je suis obligée de leur demander avant de traduire pour eux : « Vous voulez du français moderne ? Dites-le moi tout de suite ! »

Certains disent oui, d’autres bondissent, comme Fabio Carpi, Marco Bellochio, en général les intellectuels qui refusent les « p’tits déj », les « apparts », les « psys », etc., et j’en passe, langue qu’ils accusent de paresse intellectuelle.

Mais je me méfie toujours, car j’ai eu des ennuis avec une traduction de Berlin 391 où j’avais fait parler un dignitaire nazi comme on parlait à cette époque-là (ce dont je me souviens !). J’ai dit au producteur italien – d’ailleurs bien d’accord avec moi – qu’en 1939, le français était celui de 1939… Mais j’ai appris que même Louis Malle a fait dire à des gamins de « mon » époque des expressions impensables en 1940/442. Je n’ai pas vu le film en français, et ce ne sont que des ouï-dire, qui m’inquiètent énormément.

D’accord, on ne peut pas adopter le français du Moyen-Âge dans une reconstitution historique. Mais un français de 1940 donne une touche de « vieillissement », de « vérité » à un film qui est vu par des témoins. Des témoins d’un certain âge, c’est exact, mais pourquoi les dérouter ainsi ? Comme si les coiffures, les vêtements, les usages et mille petites ou grosses erreurs « saisies » uniquement par eux, ce n’était pas suffisant !

Un jour, Dino Risi m’a dit : « Vous n’avez pas mis “absolument” dans mon scénario. Je reviens de Paris et tout le monde répond en disant “absolument”. » Il avait raison. Alors, dans la dizaine de scénarios qui ont suivi, j’ai parsemé mes dialogues d’« absolument ». Puis j’ai cessé quand une amie revenant de Paris m’a dit :

– Arrête avec tes « absolument », maintenant on répond « tout à fait. »

Est-ce qu’un jour on redira « oui » ?

Quant à l’argot, c’est la catastrophe. On sait que l’argot évolue continuellement. On fait maintenant beaucoup de films dans une langue si nouvelle que je reçois des coups de fil de traducteurs italiens qui ne comprennent pas les scénarios français qu’on leur envoie. Mais quand on a Michel Blanc, on ne peut décemment pas regretter Audiard ! Hélas, les sous-Blanc foisonnent !

Heureusement, je n’ai pas de problèmes majeurs de ce côté-là. D’autant que ma traduction ne sera pas lue par un loubard, mais par un producteur qui a souvent le même âge que moi et qui doit suivre superficiellement l’évolution de la mode. Il vaut mieux mettre quelques mots d’argot, mais sans se casser la tête. Si le film se déroule dans un milieu de toxicos, l’important est de savoir reconnaître un « fixe » d’une « ligne » et de savoir ce qu’est une « lance ». Mais je suppose qu’on a déjà trouvé des appellations différentes. Je suis étonnée par les frontières de l’argot de la drogue : un « fixe », c’est une « pera » (poire), une « lance », c’est une « spada » (épée). Il paraît qu’entre l’anglais et le français, il n’y a pas autant de problèmes.

Je dois dire que les jeunes sont gentils, parce qu’ils ne m’envoient pas au diable quand je leur demande des précisions sur leur vocabulaire, sur un sujet aussi dramatique. Là, j’ai le rouge de la honte.

Des ennuis dans la recherche de mots nouveaux ou techniques ? J’en ai continuellement. Essayez d’aborder un gardien de la paix pour lui demander comment ils appellent entre eux l’Hôtel de Police ! (autrefois le commissariat) ; vous aurez de la chance s’il ne vous demande pas vos papiers et s’il vous répond : « Ça s’appelle toujours commissariat ! » Comme l’Étoile est toujours l’Étoile !

L’idéal, ce serait de me faire arrêter et de passer une nuit à la souricière (geôle). Là, j’aurais des mots ! Mais je n’ai pas encore eu ce courage. J’ai heureusement trouvé un jeune « coopérant » qui me dresse des listes étonnantes.

Je me suis fait sortir du Club Med de Donoratico quand j’ai essayé de m’informer sur les petits rouleaux qu’il y a contre les petits voiliers. Les superbes sportifs m’ont expédiée en quelques mots ennuyés, alors que j’aurais tant voulu avoir des détails sur ces embarcations, lieux adorés pour les scènes de crime et d’amour. Et après, ce sont ces types qui se marrent au cinoche parce qu’on ne connaît pas les mots techniques !!!

J’ai besoin d’un dictionnaire sur le billard ! Sur le poker ! Je n’y pense jamais quand je vais en France, j’achète autre chose, de totalement inutile pour mon travail.

Conclusion : j’utilise l’argot de papa, que je parsème d’argot moderne.

Une seule fois, j’ai dû traduire un scénario où un argot ultra-moderne était indispensable. J’ai fait ce que j’ai pu, en écrivant sur la première page : « La traductrice recommande de revoir le texte en argot, merci. » Suivant mon système bien connu : faire penser les autres.

Les Italiens n’ont pas un argot national. Ils ont autant d’argots que de villes. Ce sont presque des langues. En napolitain, on trouve des mots français, par exemple « la sciantosa » pour « la chanteuse », dus au règne des Bourbons. Le « Royaume de Naples », gouverné par les Bourbons à partir de 1734 a, en effet, laissé un profond souvenir. Ici, quand on dit « i Borboni », on comprend d’où vient la corruption.

En France, au contraire, le breton ne ressemble pas au basque et aucun film ne parle breton ou basque. En Italie, les langues régionales sont vivantes.

On ne peut pas non plus faire parler tout le monde de la même façon. Quand j’ai le scénario en main, je décide dès le départ de celui qui est vulgaire, celui qui est drôle mais moins vulgaire, celui qui parlera « pincé », etc. Si on me laisse un peu plus de temps (jamais), j’essaie de varier la façon de s’exprimer car chacun a une façon personnelle de s’exprimer. Il existe des vulgarités épaisses et des vulgarités lyriques.

Au lieu d’utiliser un mot d’argot, on peut mettre au contraire un mot très châtié, très vieillot, trop châtié ou trop vieillot… et on peut ainsi obtenir le même effet comique.

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