Pitié pour le spectateur !

15. Un film sous-titré constitue sans contredit un spectacle de « pis-aller », tant pour le spectateur connaissant parfaitement la langue parlée que pour celui qui la connaît peu ou pas du tout.

Pour le premier, les sous-titres sont non seulement superflus, mais déroutants : ils ont en effet le don de troubler ses sens visuel et auditif en les empêchant de s’adonner librement à l’image et la parole du film. Bien entendu, nous ne nous arrêterons pas au cas de cette infime partie d’un public à qui l’on traduit un texte qu’il comprend très bien sans cela.

16. Celui qui nous préoccupe au premier chef, c’est le spectateur ignorant totalement – ou connaissant insuffisamment pour comprendre – la langue dans laquelle le film est dialogué. Son plaisir n’est pas de tout repos.

Pour lui, la perception du dialogue s’effectue par le truchement d’une sorte d’enseigne lumineuse qu’il s’évertue à déchiffrer tant bien que mal lors de sa brève – souvent trop brève – intrusion et qui, quelque ingénieuse que soit sa rédaction, ne lui donne généralement qu’un « digest » sommaire de ce qui se dit à l’écran.

17. Par ailleurs, et ceci est le plus contrariant, son œil doit, en plus de l’effort de lecture à fournir, subir une longue série de chocs visuels du fait de la brusque apparition et de la non moins brusque disparition de chaque sous-titre. Le nombre moyen de sous-titres dans un film de long métrage étant actuellement de 900, dont chacun doit surgir et s’éclipser presque aussitôt, cela représente, à raison de deux par sous-titre, 1 800 chocs par film. Ainsi, un film d’une durée de 90 minutes, soit 5 400 secondes, assène au spectateur un choc visuel environ toutes les 3 secondes !

On objectera à cela qu’un film n’est pas dialogué d’un bout à l’autre, qu’il comporte obligatoirement des séquences importantes dépourvues de texte parlé, donc de sous-titres, et que le public est alors gratifié d’une détente qui le compense de la fatigue subie. Ceci est parfaitement exact. Mais alors, sur les 900 sous-titres « de moyenne » se répartissant forcément sur une durée d’autant plus réduite, les chocs visuels interviennent d’autant plus fréquemment et, au lieu des 3 secondes, le spectateur les subit toutes les 2 secondes et, dans certaines scènes, même toutes les secondes, c’est-à-dire sans le moindre répit.

18. Une conclusion peu réjouissante s’impose : le spectateur d’un film sous-titré est frustré a priori d’une bonne partie du plaisir pour lequel il vient au cinéma.

À première vue, nous n’y pouvons rien car, apparemment, tant qu’on exploitera des films étrangers en France et des films français à l’étranger, il y aura des sous-titres. L’avenir nous réserve peut-être des surprises dans ce domaine. Verrons-nous un jour les salles de cinéma équipées d’un système sonore « polyglotte » qui permettra à un public hétérogène d’entendre les dialogues d’un film chacun dans sa langue natale ? Tout est possible…

En attendant, rendons-nous à l’évidence : le sous-titrage, s’il est un mal, est un mal nécessaire.

Dès lors, une question pertinente se pose : puisque mal il y a, pouvons-nous faire en sorte qu’il soit réduit à son minimum réellement nécessaire ? Nous répondons : oui, nous le pouvons et c’est notre devoir, non seulement envers nous-mêmes et envers le public, mais aussi envers ceux qui remettent le sort de leur film entre nos mains.

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