Ne défonçons pas des portes largement ouvertes !

27. Lorsqu’un spectateur doté d’une intelligence très moyenne voit sur l’écran un individu qui montre la porte à un autre individu et, tout en agitant son bras étendu, pousse une série de cris plus ou moins articulés, cent fois sur cent il conçoit immédiatement, sans l’aide de personne, que le premier est en train de mettre le deuxième à la porte, en l’insultant. Si en même temps surgit une inscription lumineuse traduisant les cris en question et farcie de quelques épithètes appropriées, notre spectateur est en droit de penser qu’on le prend pour un imbécile…

Cet exemple, volontairement exagéré, tend à mettre en évidence la parfaite inutilité de traduire au public certaines phrases – elles sont légion – généralement très courtes et intelligibles à quiconque par la seule vertu de l’action.

Si l’on doit admettre la raison d’être des sous-titres qui, pour en être gênants, n’en fournissent pas moins une explication valable, on doit rejeter ceux qui, à la fois, sont gênants et n’expliquent rien, puisque le public comprend sans cela.

Qu’il nous soit permis d’évoquer ici une scène d’un film qui, en quelque sorte, a fait date dans les humbles annales du sous-titrage. Dans cette scène, lors d’un interrogatoire serré au cours d’un procès, l’accusé répond douze fois de suite : « yes » à l’un des avocats. Les douze fois, un sous-titre explicatif traduisait au public le sens exact du mot « yes ». À deux ou trois reprises, le mot « oui » apparaissait en majuscules ; à la douzième, il était suivi de trois points d’exclamation. On peut présumer qu’à la douzième répétition du même terme, le spectateur avait enfin compris…

28. Il est impossible d’énumérer tous les cas où une réplique peut se passer de sous-titrage, donc de repérage préalable. Mentionnons-en toutefois quelques-uns qui, sauf des impondérables tout à fait exceptionnels, peuvent être considérés comme des « passe-partout » ne réclamant pas de traduction.

29. Ce sont en premier lieu, les expressions courantes à caractère « international », connues de tous et dont l’absence de traduction n’affecte en aucune façon la bonne compréhension de ce qui se dit.

En font partie notamment les formules usuelles de salutation, de politesse, d’affirmation, de négation, d’étonnement, ainsi que toutes sortes d’exclamation, de répliques téléphoniques, etc. S’intègrent dans le même genre de vocables les interpellations par nom propre, si ce dernier est notoire ou s’il a déjà été précédemment entendu et sous-titré dans le film ; de même les interpellations par nom commun à sonorité familière peuvent souvent être dispensées de sous-titrage. Toutefois, s’il s’agit d’un nom peu connu ou pouvant prêter à équivoque, on le sous-titrera une fois, la première fois qu’il est prononcé.

On peut y ajouter toutes sortes de « bouts de phrase » à sens incomplet, qui ne seront pas immédiatement achevés et qui relèvent plutôt de la mimique que du dialogue proprement dit.

30. Dans d’autres cas, moins typiques, il convient d’adopter la règle suivante : ne jamais expliquer au spectateur ce qu’il sait aussi bien – sinon mieux – sans explication. Dans les cas où le geste de l’acteur est suffisamment explicite pour enlever toute équivoque aux paroles qu’il prononce simultanément, celles-ci n’ont pas à être traduites. Il en est de même lorsque l’acteur répète, coup sur coup, exactement la même phrase, de sorte que le spectateur ne peut s’y méprendre ; la phrase sera repérée une fois seulement.

Nous rangerons dans cette même catégorie certaines séquences dialoguées que nous qualifierons de « dialogues d’ambiance » et dont la traduction est le plus souvent inutile, voire gênante, parce qu’elles n’intéressent pas le spectateur. C’est le cas de : sermons d’église, prières, commérages, lecture à haute voix, chants ou chansons sans rapport avec l’action, etc.

En cas de doute, d’incompétence ou d’hésitation quant à l’intérêt de tels passages, on aura soin de les repérer à tout hasard et de signaler à l’adaptateur le degré d’importance qu’on leur attribue.

31. Gardons-nous de conclure de ce qui précède, que l’absence d’un sous-titre est toujours préférable à l’inconvénient qui résulte de sa présence. Il faut de la mesure en tout. L’élimination d’un sous-titre doit s’opérer avec  beaucoup de modération et jamais sans motif valable car, à côté du soin que nous devons prendre de ne pas fatiguer inutilement le spectateur, il y a aussi celui de lui donner le sentiment que le dialogue étranger lui est rapporté dans son intégralité, sans lui faire perdre un seul mot substantiel.

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