Deux boussoles

78. Les éléments de repérage que l’adaptateur reçoit pour établir ses textes ont trait, d’une part, à la longueur des sous-titres et, d’autre part, à leur rapport dans l’espace et dans le temps. Nous allons examiner d’assez près ces deux facteurs, en vue d’en tirer un enseignement pour le mécanisme de l’adaptation.

Nous avons déjà dit que l’indice de sous-titre signale le nombre de caractères (« types ») d’imprimerie à utiliser pour la rédaction de chaque texte. Ce nombre englobe non seulement les lettres, mais aussi les signes de ponctuation et les espaces entre les mots, les trois éléments en question composant « le temps de lecture » du texte. Ainsi, l’indice 50 signifie que la somme des lettres, signes de ponctuation et espaces entre les mots du sous-titre correspondant, doit égaler 50 ou presque 50.

79. Or, certains adaptateurs considèrent l’indice uniquement comme un maximum à ne pas dépasser et oublient – ou ignorent – qu’il signale aussi un minimum approximatif à atteindre ; en d’autres termes, si cet indice est de 50, il faut, d’une part, que le nombre de signes n’excède pas 50, mais, d’autre part, qu’il s’en rapproche le plus possible. Un petit exemple illustrera le côté pratique de cette assertion.

Supposons qu’un acteur prononce, à une vitesse normale, une phrase de 20 mots. On peut valablement admettre que, si le sous-titre correspondant n’en contient que 14 ou 15, le spectateur s’apercevra à peine de la « compression » opérée ou, tout au moins, la considérera comme négligeable. Il n’en est pas de même lorsque, en contre-valeur des mêmes 20 mots, l’auteur ne lui en offre que 5 ou 6, comme c’est fréquemment le cas : le sous-titre restant « collé » sur l’écran pendant toute la durée des 20 mots, le spectateur a le temps de le lire deux ou trois fois, se sent frustré d’une bonne partie du texte parlé et pense « qu’il y a de l’abus ».

80. Que l’on ne vienne pas rétorquer à cela que la compression démesurée est justifiée quand le reste du texte « est sans importance ». Le spectateur qui ne comprend pas ce qui se dit ignore si c’est important ou non. Pour en juger, il faut qu’il comprenne. C’est à lui, et non à l’auteur, de faire la part des choses, puisque c’est à son intention que le film est pourvu de sous-titres.

81. Déduisons-en que l’auteur doit veiller à ce que la longueur de chaque sous-titre ne se trouve pas en disproportion excessive avec le dialogue qu’il traduit. Une phrase courte appelle un sous-titre court, une phrase longue appelle un sous-titre proportionnellement plus long. L’équilibre entre les éléments sonore et visuel qui en résulte engendre chez le spectateur une sorte de « rythme naturel de lecture » qui se brise chaque fois que cet équilibre est compromis. Pour le sauvegarder, l’auteur utilisera, en rédigeant ses sous-titres, toute ou presque toute la longueur disponible signalée par le footage. Plus il s’en rapprochera, mieux cela vaudra. Comme il n’est pas toujours possible de « tomber pile » par rapport à l’indice, un léger écart est toléré : le nombre réel des signes peut différer de l’indice de 5 pour cent, dans un sens ou dans l’autre. Cet écart peut atteindre 10 pour cent dans les sous-titres dont l’indice est supérieur à 40.

82. Mettons à profit les considérations ci-dessus pour dissiper une fois pour toutes la légende suivant laquelle « un sous-titre doit être le plus court possible ».

Un sous-titre est déjà fatalement court à cause de la fameuse « pénurie d’espace » ; ses moyens d’expression sont assez réduits comme cela. Il n’y a donc nul besoin de le raccourcir volontairement plus que nécessaire et d’amoindrir encore ces moyens d’expression.

Aussi devons-nous opposer à cette légende la recommandation suivante : un sous-titre doit être le plus long possible, aussi long que le permettent les données du repérage. L’adaptateur n’en sera que plus à son aise pour établir ses textes. Quant au spectateur – qui paie son billet toujours d’avance – il aura le sentiment « d’en avoir eu pour son argent ».

Bien entendu, il ne s’agit pas non plus de lui « en donner plus qu’il n’en demande » : si une réplique ne contient qu’un seul mot ou deux, le sous-titre correspondant ne saurait en comporter cinq ou six. Là encore, l’équilibre serait compromis.

83. Examinons maintenant le rôle que peut jouer, dans la partie littéraire du sous-titrage, la proximité (ou l’éloignement) – dans le temps – de deux sous-titres ayant un rapport quelconque de construction ou de sens.

Pour en apprécier toute l’importance, ne perdons pas de vue un fait matériel propre au processus du sous-titrage : un sous-titre écrit ou dactylographié sur papier est destiné à faire une très brève apparition sur l’écran, pour s’effacer presque aussitôt.

84. Imaginons à présent qu’en raison d’une difficulté quelconque, l’adaptateur soit amené à étaler une seule phrase du repérage sur deux numéros successifs, c’est-à-dire à scinder cette phrase en deux sous-titres voisins. Il est évident que, si le temps qui s’écoule entre la fin du premier et le début du deuxième dépasse un certain maximum admis par la « persistance visuelle », le spectateur risque de ne plus saisir le rapport entre les deux sous-titres incriminés.

Des problèmes du même genre peuvent se présenter lorsque, pour raccourcir un texte, l’auteur est amené à utiliser un pronom personnel ou autre, en remplacement d’un nom précédemment entendu. Suivant la distance entre les deux, l’emploi du pronom peut être plausible ou prêter à confusion. Il est donc indispensable de tenir compte de la valeur de l’intervalle entre les deux sous-titres voisins dont le rapport d’idée ou de sens doit être sauvegardé. La pratique veut que cet intervalle ne dépasse pas 1.8 pied, soit une seconde.

85. Le footage permet une évaluation exacte de tout intervalle entre deux sous-titres, proches ou lointains. Dans le cadre d’une même bobine, cela se résume à une simple soustraction de footages. Quand les deux sous-titres intéressés se trouvent « à cheval » sur deux bobines, l’emplacement de la dernière image-scène de la première bobine par rapport à la première image-scène de la deuxième bobine sert de point de repère à cette évaluation.

86. Concluons par une réaffirmation de ce que nous avons déjà dit : un repérage sans footage est un élément de travail insuffisant et un auteur conscient de sa tâche ne saurait s’en contenter. Faire une adaptation sans tenir compte du facteur « distance », c’est comme marcher à tâtons dans les ténèbres. Et lorsque la lumière apparaît… sur l’écran, il s’avère – souvent trop tard – que les sous-titres ne sont plus du tout ce qu’ils étaient… sur le papier.

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