Interview de Sofyane Rouis

Revenue & Client Services Manager pour Deluxe Media Paris

En tant que studio de doublage et de localisation audiovisuelle, pouvez-vous nous dire comment se passent en coulisses les négociations sur les tarifs d’adaptation ?

Il existe plusieurs configurations. Lorsque le programme est produit, traduit et localisé par le distributeur en direct, le coût de l’adaptation en français est budgété à l’avance. Dans ce cas de figure, on prête très généralement attention à l’ensemble des dépenses du projet. De plus, les distributeurs connaissent les prix pratiqués : les tarifs sont respectés et ne nécessitent pas d’être discutés.

Parlons détection

En mars 2014, l’ATAA a publié sur ce blog un article d’Yves Jeanne, détecteur. Il y faisait un constat sans appel sur la situation alarmante de la détection. Aujourd’hui, son bilan d’alors paraît presque prémonitoire, mais l’article ayant déjà 4 ans, il nous a paru temps de refaire un point. La situation a-t-elle évolué ? En bien ou en mal ? Quelles solutions peut-on envisager ?

A leurs débuts, les logiciels étaient réservés à quelques soaps, ou aux séries à faible budget. Mal conçus, ils n’étaient absolument pas faits pour une vraie détection.

Aujourd’hui, où en est-on ? L’informatisation a tout balayé sur son passage. On travaille systématiquement sur ordinateur et la détection traditionnelle à la main a totalement disparu. Même pour les programmes plus prestigieux, comme les films pour le cinéma.

On ne peut nier que cet essor s’est fait au détriment de plusieurs métiers, dont celui de calligraphe, qui a complètement disparu. Cependant, l’informatique a apporté un plus indéniable et grandement facilité le travail sur toute la chaîne. Débarrassés des contraintes physiques de la bande-rythmo, le détecteur, comme l’adaptateur, ont acquis une liberté très agréable.

Le logiciel a permis aussi une accélération du processus global de la détection/adaptation, notamment parce que les allers-retours de bandes-rythmos ont été remplacés par des échanges de mails. Autre exemple, le détecteur et l’adaptateur peuvent désormais travailler très facilement sur le même programme de manière simultanée.

Ceci n’est pas un exercice

Défi ? Exercice ? Ou destruction de valeur des œuvres et de nos métiers ?

La société Lylo, qui œuvre dans le domaine de la post-production audiovisuelle, cherche actuellement des adaptateurs de doublage pour les aider à relever un « défi » lancé par Netflix. La proposition reçue par quelques auteur(e)s se présente en ces termes (par amour de la VO, nous laissons les fautes) :

« Nous avons été contacté par Netflix pour participer a une sorte d’exercice qui consiste à leur fournir en un temps record une « adaptation » d’un telefilm de 90 min, en sachant qu’il nous fournisse une traduction française.

Alors tiens toi bien le temps record est 5 jours !! Tadam !

Donc notre idée pour relever le défi serait de repartir l’adaptation entre 3 auteurs en 3 jours et le 4ème jour de confier à un autre auteur de faire une relecture / harmonisation de l’ensemble et de finir la journée avec une simulation en présence d’un comédien ou DA. »

Arrêtons-nous sur cette formulation : « nous avons été contactés par Netflix pour participer à une sorte d’exercice qui consiste à leur fournir en un temps record une « adaptation » d’un téléfilm de 90 min ». L’exercice en question ressemble fort à une offre de contrat d’adaptation, en urgence de surcroît. Puis, on précise le délai : 5 jours pour adapter 90 minutes. Heureusement qu’on se cramponnait, en effet, sans quoi beaucoup seraient tombés de leur chaise. Rappelons que les organisations professionnelles recommandent pour l’écriture du doublage d’une fiction de 100 minutes un délai de 2 à 3 semaines. Mais qu’à cela ne tienne : chez Lylo, on n’a pas de délais professionnels, mais on a des idées : pour livrer le travail dans les temps, il suffit de saucissonner l’œuvre et de répartir le travail entre trois adaptateurs, puis de demander à un quatrième (plutôt qu’à un des trois premiers, histoire de faire une encore plus belle bouillie) d’harmoniser en une journée 90 minutes de vidéo. Malin ! Cependant, même avec ce découpage, le rythme de travail demandé n’est en rien réaliste, d’autant que cette société ne fournit pas de détection et que les adaptateurs devront également réaliser cette tâche, toujours en un temps record.

L’impact de la numérisation sur la traduction audiovisuelle

L’article suivant est paru dans le Bulletin des Auteurs, revue trimestrielle du SNAC (Syndicat National des Auteurs et Compositeurs), au sein duquel se trouve un groupement doublage/sous-titrage. Nous remercions vivement Vanessa Bertran de nous avoir autorisés à reprendre ce texte ici.

La numérisation dans la filière : les entreprises ont quelques perfos d’avance…

Qu’importe le flacon… Le plaisir d’écrire reste le même, qu’on utilise le crayon à papier ou la bande rythmo virtuelle, c’est l’auteur qui doit s’imposer à la technique et non l’inverse. Mais force est de constater que l’apparition du numérique dans les filières doublage et sous-titrage a considérablement modifié notre manière de travailler, tant d’un point de vue pratique que juridique et économique. Libre à chacun de juger s’il s’agit d’un progrès, et si ça n’en est pas encore un, pourquoi ne pas essayer, par notre action, de faire en sorte qu’il le devienne ?