Sous-titrage au festival de Deauville

Pourquoi tant de haine pour les œuvres et les spectateurs ?

À l’heure où des laboratoires de post-production et des commanditaires commencent à s’intéresser aux intelligences artificielles censées permettre des sous-titrages plus rapides et moins "coûteux", il est bon de rappeler à quoi ressemble une traduction automatique. Contrairement à ce que l’on entend, c’est loin d’être au point.

Le 46e Festival du cinéma américain de Deauville, qui s’est tenu (masqué) du 4 au 13 septembre 2020, en offrait un bon exemple. Rarement a-t-on vu autant de sous-titrages bâclés. Sauf pour quelques rares films de la compétition, qui étaient sous-titrés de façon professionnelle, ils étaient au mieux difficiles à lire et bourrés d’erreurs, et au pire totalement absurdes et incompréhensibles.

Les festivaliers ont eu droit à des textes manifestement générés par des machines, ou en tout cas écrits sans tenir compte de l'image, lorsqu'ils alternaient des tournures au féminin et au masculin et des tu et des vous, sans aucune logique par rapport aux personnages à l’écran.

Prenons quelques exemples. Ceux qui ont réalisé les sous-titres de Shiva Baby d’Emma Seligman ne maîtrisent visiblement pas assez la langue française pour connaître le sens des mots "bon" et "bien", employés à tort et à travers, comme dans le barbarisme "Ils vont bons."

Dans Love is love is love d’Eleanor Coppola, les onomatopées de Chris Messina sont sous-titrées en de formidables "Grrr... grrr..." et on a un magnifique dialogue sur deux personnages en train de rire :

- Ah ah ah !
- Ah ah !

La base même du sous-titrage est de ne pas encombrer l’image inutilement. On ne sous-titre pas un rire ! Un autre dialogue tout aussi absurde rassemble une fin de phrase sur la première ligne et, sur la deuxième, en "réponse", la traduction de l’affiche dont le personnage parle. Tout s’affiche trop vite pour être lisible de toute façon. Sans parler des verbes systématiquement mal conjugués.

Le sous-titrage du Gouffre aux chimères, reprise de Billy Wilder, n'a souvent aucun sens ("That goes for you too, fan" traduit par "Ça vaut pour toi aussi, attisez") et va jusqu'à laisser des codes chiffrés en début de phrase.

Critical Thinking de John Leguizamo met en scène des parties d'échecs où "Check" est traduit par "Vérifier", "pieces" (les pièces d'échecs), par "morceaux" et "moves" (les coups), par "mouvements". Et "a draw" (partie nulle) devient "un remis au sort".

Mais c’est Wander d’April Mullen qui remporte la palme des pires sous-titres vus au festival. Il réunit absolument toutes les erreurs possibles :

  • des textes de trois lignes qu’on n’a absolument pas le temps de lire et qui sont décalés par rapport à la VO ;
  • du mot à mot ridicule : "L’enfer, ouais" sur "Hell yeah", "Arthur, ouvre-toi" au lieu de "ouvre la porte", "Tu veux connaître ma fortune ?" en parlant du petit papier dans un fortune cookie ;
  • des coquilles qu’il aurait été facile de corriger (fautes d'accords, "une voiture blanhe") ;
  • des contresens à la pelle : "Tout cela est pour toi" au lieu de "C’est ta faute" (It’s all on you), "Essuie l’ordinateur" au lieu de "Efface le disque dur" (wipe the computer) ;
  • des scènes où les personnages se tutoient et se vouvoient en alternance, sans aucune cohérence.

En résumé, il est clair qu’aucun humain n’a produit ni même relu ces sous-titres. Inutile de dire que la traduction des phrases plus complexes et des échanges du tac au tac était à la fois fausse et illisible. On se demande comment les spectateurs ont pu suivre l’histoire. Et malheureusement, ce n’était pas le seul film à offrir ce florilège du pire.

Même quand ils n'étaient pas catastrophiques, la plupart des sous-titrages n'étaient pas aux normes professionnelles françaises. Cela vaut également pour les présentations en vidéo des réalisateurs et réalisatrices projetées avant le film, dont la traduction était truffée d’anglicismes et ne respectait pas les temps de lisibilité. Et bien évidemment, il manquait généralement le nom de l’auteur ou de l’autrice au générique de la plupart des films.

Sur leur site, les organisateurs du festival de Deauville se targuent de "promouvoir l'excellence artistique" et de "mettre la défense des films et des auteurs au cœur de toutes [leurs] actions". Pourtant, la majorité des sous-titrages vus à Deauville desservaient les œuvres présentées.

Les dialogues d'un film sont tout aussi importants que sa lumière, son cadrage ou son montage. Il ne viendrait à l'idée de personne de projeter un film en en changeant le format ou en en distordant le son. Ne pas soigner la traduction des dialogues revient à dénaturer les échanges entre les personnages et donc à présenter une version déformée de l'œuvre.

Comment réagiraient les cinéastes sélectionnés s'ils apprenaient que les dialogues qu'ils ont ciselés avec soin ont été totalement négligés, voire saccagés, pour leur première diffusion en France ? Compte tenu du prix des passes et des accès, ainsi que des sponsors prestigieux du festival, la moindre des choses serait de proposer des sous-titres corrects qui n’écornent ni la culture américaine ni la langue française. Un investissement mineur au regard des enjeux financiers de ce prestigieux festival.

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