Prix de la Traduction de documentaires télévisés 2019 - Entretien avec Delphine Piquet

Lauréate de la Mention spéciale du jury

Bravo pour votre Mention spéciale du prix ATAA de la Traduction de documentaires télévisés ! Que vous apporte cette distinction ?

Lors de la remise du prix, Frédéric Dussoubs1 m’a dit avec humour : « Ce serait bien que le Prix te rapporte autre chose qu’une clé à molette en chocolat2 ! » J’espère en effet que ce Prix m’ouvrira des portes. Après 12 ans passés en Allemagne où je m’étais installée pour effectuer mon stage de Master de traduction, j’ai décidé de rentrer en France. Mais aujourd’hui, mes clients allemands font de moins en moins appel à moi – probablement à cause de la distance – et mes contacts français restent à développer. Au cours de la cérémonie, beaucoup de confrères m’ont proposé de me recommander à leurs clients. J’ai été agréablement surprise de tant de solidarité car nous évoluons dans un milieu très concurrentiel. Mais j’ai découvert une grande famille !

Parlez-nous de Mécanos express

Mécanos express est une série de télé-réalité au ton amusant. Il ne s’agit pas juste de mécanique de garage : le programme mise sur des projets hors norme, avec des personnages hauts en couleur. Le patron joue les râleurs de service et chacun possède sa propre personnalité. Tout est surjoué et très scénarisé. Pour la traduction, j’ai recherché ce côté « rentre-dedans » sans être vulgaire. Je me suis mise dans la peau de mes mécanos mal dégrossis au point de – parfois – les mimer et d’imiter leurs intonations pour que le texte soit naturel dans leur bouche.

Combien de livres de mécanique avez-vous lu pour ce travail ?

Mais aucun ! On est trop pris par les délais. Le manque de temps ne permet pas non plus de trouver des consultants. Dans notre métier, il faut être prêt à sauter à pieds joints dans un nouveau domaine et à s’adapter ! J’ai réalisé mes recherches sur Internet où on trouve de plus en plus de glossaires, et sur des forums de discussion. Google Images m’a aussi permis de visualiser les outils pour ensuite comparer si le mot traduit désignait le même objet. Enfin, certaines vidéos YouTube m’ont aidée à résoudre des questions de piston et de vérin. Un de mes anciens profs conseillait également de se constituer des glossaires techniques en utilisant des catalogues de vente récupérés dans les pays d’origine. Quoi qu’il en soit, je fais toujours en sorte de croiser les sources et de faire le tri entre les sites sérieux et ceux aux contenus douteux.

Enfin, pour tout ce qui relevait du jargon, je me suis raccrochée aux images car il fallait déjà comprendre ce qu’ils faisaient… Dans un passage, les personnages parlent littéralement d’un « truc vert ». J’ai fini par traduire par « huile de moteur », après m’être posé de très nombreuses questions et avoir tout envisagé. En dernier recours, j’ai failli interroger mon garagiste car ma hantise était qu’un féru de mécanique trouve mon texte bizarre et peu plausible.

Mécanos express n’est pas le programme le plus représentatif de votre travail. Quels sont vos domaines de prédilection ?

Dans l’audiovisuel, je fais surtout du sous-titrage pour des festivals. Il s’agit de projections ponctuelles qui génèrent peu de droits de diffusion. Il est parfois difficile de savoir ce que deviennent véritablement les sous-titres, et souvent je m’interroge sur la visibilité de mon travail. Comme dans le cas de la Cinémathèque allemande pour qui je traduis des longs-métrages et des documentaires – en cours de restauration – des années 70 à 90. Ces films sont destinés aux archives, aussi il n’y a pas ou peu de diffusions…

Outre la rédaction de fiches de lecture pour le Goethe Institut, je me suis lancée dans la traduction littéraire en suivant le programme Goldschmidt en 2010. Et grâce au hasard des rencontres, j’ai fait la connaissance d’un éditeur suisse qui a été séduit par mon projet de traduction du roman de Michèle Minelli intitulé Sans repos en français. Il m’a fallu deux ans pour traduire ses 800 pages ! L’ouvrage vient seulement de sortir après trois ans d’atermoiements. Malgré l’ampleur de ce travail, j’aimerais poursuivre dans cette voie car cela permet une vraie affinité avec l’œuvre. On a aussi la satisfaction de porter un projet. Mais le milieu de l’édition reste compliqué : il est difficile de faire valoir ses projets auprès des bons éditeurs, et cela nécessite de faire de nombreux essais de traduction non rémunérés…

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