Listes types de repérage : rêve ou cauchemar ?

Claus Stenhøj, traducteur danois, est auteur de sous-titres indépendant depuis dix-sept ans et membre du syndicat danois des sous-titreurs. Lors de l’édition 2012 du colloque Languages and the Media, fin novembre 2012, il a présenté une contribution en anglais intitulée « English Master Templates – Help or Hell? ». Il nous a semblé intéressant d’en publier ici une version abrégée avec l’accord de l’auteur, car elle pointe du doigt une pratique problématique pour de nombreux auteurs de sous-titres dans le monde.

Claus Stenhøj

Depuis l’avènement du DVD il y a maintenant plus de dix ans, les auteurs de sous-titrage sont souvent amenés à travailler avec des listes types de repérage (English Master Templates, EMT), c’est-à-dire un prédécoupage de la totalité des dialogues en anglais. Les EMT apportent-ils un progrès ? Les sous-titreurs rêvaient-ils vraiment de ce nouvel outil ? Mon expérience du sous-titrage au Danemark et en Scandinavie, ainsi que les témoignages de collègues travaillant par exemple en Inde, au Portugal, en Slovénie et en Finlande, m’ont inspiré les réflexions suivantes.

L’un des objectifs des EMT est de rendre le travail plus rapide, pour raccourcir les délais. Mais ces listes types, produites dans des pays où le sous-titrage interlinguistique (c’est-à-dire de traduction) n’est pas ancré dans les habitudes, imposent leurs normes dans d’autres pays : Scandinavie, Pays-Bas, Belgique, Portugal ou France, par exemple. Et ce, sans considération des particularités locales, alors que cet art s’y perfectionne depuis plus de 80 ans au cinéma et 50 à la télévision. La plupart des sous-titrages DVD que j’ai vus ces dix dernières années allaient à l’encontre des règles respectées en Scandinavie, notamment en ce qui concerne la vitesse de lecture. Je n’ai pas à donner de leçons de sous-titrage pour sourds et malentendants aux labos américains et britanniques – même si l’envie m’en démange. Dès lors que leurs produits ne franchissent pas leurs frontières, ils ne me gênent pas. L’ennui est que ces sous-titres – si tant est qu’on puisse appeler ainsi un script arbitrairement décomposé par des étudiants ou des jeunes gens au pair – sont exportés pour servir de modèles.

Le résultat est catastrophique. Les EMT pèchent par manque de concision, puisqu’ils se contentent de reproduire les dialogues en intégralité après un découpage sommaire. De ce fait, le temps de lecture laissé pour chaque sous-titre est ridiculement bref. Et la qualité est largement en dessous de celle obtenue quand le processus se déroule de A à Z dans le pays de destination, où les normes sont le fruit de décennies d’expérience. Au Danemark, tout le monde regarde les films en VOST, pas seulement les sourds et malentendants.

Avec des dialogues prédécoupés en anglais, seul le repérage est utilisable. Et encore, pour assimiler des sous-titres qui s’affichent pendant moins d’une seconde, il faut être champion de lecture rapide ! Nous, professionnels qualifiés, sommes donc contraints soit de livrer un produit de mauvaise qualité, soit de tout reprendre. Or, il est souvent aussi chronophage de réparer les dégâts que de tout faire d’un bout à l’autre – et encore faut-il qu’on nous autorise à modifier le modèle.

Pour transformer cette bouillie en sous-titres dignes de ce nom, c’est-à-dire pour refaire le repérage, nous ne touchons pas un sou de plus, bien entendu. Car l’autre finalité de ces saucissonnages absurdes est de réduire les coûts. L’an dernier, à Londres, j’ai demandé aux labos présents au colloque Media for All combien ils payaient aux traducteurs une traduction réalisée à l’« aide » de listes types de repérage, par rapport à une traduction normale. Pour toute réponse, je n’ai eu obtenu qu’un silence assourdissant. En effet, le travail avec EMT est souvent rémunéré à 25 % de celui réalisé sans EMT. Pourtant, le client final débourse, disons, 80 % de ce prix. Pour le labo qui vend presque « plein pot » un produit de seconde classe, c’est tout bénéfice. Il aurait de quoi en remontrer à un marchand de voitures d’occasion.

Condenser les dialogues en tenant compte de la vitesse de lecture normale et selon un repérage adapté au rythme des plans du film ou de l’émission, c’est l’essence même du métier de sous-titreur. Il est vain de croire que l’on peut obtenir mieux, plus vite et pour moins cher en confiant ce travail à des personnes sous-qualifiées et sous-payées. Le résultat s’avérant exécrable, sans même être plus économique pour le client final – puisque ce passage à la moulinette lui est facturé au prix fort – on perçoit difficilement l’intérêt des listes types de repérage, mis à part pour faire de l’argent facile. Pour les distributeurs de DVD et les multinationales du sous-titrage, elles sont juste un nouveau moyen de tirer sur les coûts.

Pour les vrais professionnels, l’outil rêvé des labos n’est qu’un cauchemar. Sans lui, ils produiraient des adaptations de qualité bien supérieure.

Traduction synthétisée : Marie-Christine Guyon

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