Interview de Quentin Rambaud

Quentin Rambaud, lauréat 2021 et juré pour le prix en sous-titrage Cinéma 2023

En 2021, vous avez reçu le prix ATAA en sous-titrage Cinéma pour le film Yesterday. Qu’avez-vous ressenti ?

Cela a été une immense joie ! Et une grande fierté ! Initialement, les prix ATAA étaient peu connus et reconnus. Désormais, ils font parler d’eux : cette reconnaissance est amplement méritée pour la profession. Selon moi, les auteurs-adaptateurs méritent la même visibilité que de nombreux autres métiers – notamment les métiers techniques du cinéma – qui possèdent leurs propres récompenses. Par ailleurs, cela a été un bonheur double de recevoir ce prix pour un film que j'avais vraiment aimé traduire et dont l'univers m'était cher. Un grand merci à l’ATAA et au distributeur du film qui m'a offert des conditions de travail idéales !

Outre la satisfaction personnelle, qu’est-ce que ce prix ATAA vous a apporté professionnellement ?

Je n’ai pas beaucoup de recul mais je pense que cela peut avoir des effets à long terme. Les prix 2021 n’ont malheureusement pas eu le retentissement habituel du fait de l’annulation de la cérémonie.

Pensez-vous que les récompenses ATAA soient un atout, notamment pour les adaptateurs en début de carrière ?

L'ancienneté n'implique pas forcément la reconnaissance. Malgré mes années d’expérience, je ne me sens ni installé, ni à l'abri du besoin. À chaque nouveau projet, j’espère être à la hauteur ; j’ai constamment l’impression d'être face à une page blanche. Je le vis comme un éternel recommencement et une perpétuelle remise en question.

Certes, mes doutes trouvent leur source dans ma personnalité, mais également dans l'aspect presque ingrat du métier. Dans un sous-titrage, les spectateurs remarquent avant tout les défauts. Les personnes qui ne connaissent pas les contraintes de notre travail font toujours les mêmes reproches : « Les sous-titres sont incomplets… Les personnages disent tout autre chose… ». Cela entretient le doute et cette remise en question. Malgré cela, il me semble nécessaire de tenir compte de ces remarques. D’autant que nos adaptations ne sont pas destinées à nos collègues, mais bel et bien aux spectateurs… Alors, chaque jour je me demande comment faire mieux, comment être plus efficace, discret ou percutant.

Cela semble bien angoissant…

Le revers positif de cette médaille est que le doute perpétuel favorise le jeu perpétuel. Traduire est un jeu pour moi. Quand on trouve la bonne formule, quand on parvient à écrire un texte français qui se fond totalement dans l’original et semble en respecter le rythme et les contrastes, c'est jouissif ! Comme une partition parfaitement interprétée. Être capable de retranscrire le ton et le registre, ainsi que des univers complètement différents avec une apparence de naturel, offre une immense satisfaction.

Pour retranscrire des univers très différents, comment faites-vous pour suivre l’évolution de la langue ?

J'ai un grand appétit pour les créations françaises. On pense souvent qu'un traducteur regarde essentiellement des films étrangers, mais je me nourris aussi d’œuvres françaises, de séries comme Engrenages qui m’aident à retranscrire certains univers et registres. Cette démarche m’aide à suivre l'évolution de la langue et à m'imprégner des registres de langue dans tous les domaines et pour tous les âges.

Cela signifie que vous regardez également des programmes pour enfants ou jeunes ?

{Rires} Dans ce cas, je vais plutôt directement parler à des jeunes. Quand je dois traduire une série avec des lycéens ou des étudiants, je suis confronté à un vocabulaire que je n’utilise pas régulièrement, aussi je vais chercher une validation ou des idées auprès d’enfants d'amis, de 15 ou 16 ans. J’interroge aussi des jeunes rencontrés par hasard. Quand je dois traduire des programmes incluant des métiers ou des domaines très spécialisés, il m’arrive aussi d’interroger des professionnels comme des avocats ou des pilotes de ligne. Dans ce cas, je fais appel à mon entourage et à ses connaissances.

Que pensez-vous de la posture de juré ?

Être juré s’avère à la fois intéressant et inconfortable. Cela fait plaisir de récompenser un travail réussi et une traduction fluide, mais cela nous met également dans une position de jugement. Rechercher les défauts d’une adaptation peut donner le sentiment de dénigrer le travail de nos confrères et consœurs. Cela est d’autant plus difficile qu’on nous demande d’évaluer des traductions de qualité, et pas des adaptations trouvées sur internet... Aller chercher la petite bête sur un travail professionnel d’auteurs compétents n'est jamais très plaisant. En revanche, il est très agréable d’insister sur les réussites. Étant auteurs nous-mêmes, nous souffrons souvent du manque de reconnaissance. Aussi, le rôle de juré nous offre l'occasion de valoriser le travail de nos collègues.

Finalement, il n'y a que vos pairs qui comprennent réellement le niveau de compétence et de talent nécessaire à une bonne adaptation ?

Oui, c’est un peu un désespoir ! Beaucoup de nos clients en ont conscience, mais il reste une part d'incompréhension quasi insurmontable. Néanmoins, je pense que la critique, même à première vue simpliste, peut constituer une motivation pour nous pousser à faire mieux ou différemment. Afin de ne pas donner au spectateur l’impression de trahir la version originale. Il me semble faisable de condenser tout en évitant cette impression de manque. Cependant, ce travail demande du temps et implique d'accepter que des journées puissent être non productives. Je fais volontiers l’éloge de la lenteur pour nos métiers.

La lenteur n’est pas vraiment dans l’air du temps. Le milieu n’aspire-t-il pas à toujours plus de rapidité ?

C’est un vrai problème : nos clients nous demandent souvent de travailler dans l’urgence. Cette contrainte est pourtant incompatible avec notre mission. En cinéma, nous avons la chance de bénéficier de délais tout à fait corrects. Tout l’inverse des programmes pour la télévision ou diffusés en ligne, et tout spécifiquement pour les diffusions H24. Même si ces dernières sont un outil efficace pour lutter contre le téléchargement illégal.

Les plateformes ne sont pas les seules responsables. Le problème a commencé avec l'arrivée d'internet dont l’usage a donné l’impression que tout était accessible et mis à disposition gratuitement. Les sous-titrages réalisés rapidement et bénévolement par des passionnés ont également donné le sentiment généralisé qu'il était possible de se passer des professionnels. Cela revient cependant à ignorer le caractère essentiel de nos métiers pour la transmission des œuvres. Nous sommes beaucoup plus qu'une petite ligne à la fin du devis. La traduction soignée des œuvres leur permet d'être appréciées dans le monde entier. C'est merveilleux ! Et cela donne envie d'une reconnaissance générale et d’une valorisation des tarifs. Chaque jour, j’éprouve une grande satisfaction personnelle à exercer un métier que j’aime, mais cela serait rassurant de pouvoir continuer à en vivre jusqu’à une retraite lointaine…

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